Recueil d'articles parus dans les journaux

Le Publiciste,

Le Journal de l'Empire (qui s'appelait le Journal des Débats)

et la Gazette de France

Avec quelques remarques

1804

22 janvier
De Ratisbonne, le 12 janvier (21 nivôse)

    M. Breidenbach, facteur de la cour électorale de Hesse, & agent de S.A.S. le prince d’Ysenbourg, se trouve ici depuis quelques semaines. Il est particulièrement chargé de solliciter le coopération de S.A.S. l’électeur archichancelier & des principaux ministres à la diète, pour la suppression de l’impôt personnel sur les Juifs. Son zèle & ses efforts ont déjà produit en partie l’effet désiré. Notre souverain vient d’abolir cet impôt dans toutes les parties de l’électorat. On ne le prélèvera à l’avenir que sur les Juifs des états où les individus de la même nation habitant notre territoire, sont assujettis à ladite taxe. Il a été aussi enjoint à la direction électorale, à Aschaffenbourg, de proposer à tous les états voisins l’abolition de cet impôt.

4 février
De Hambourg, le 24 janvier (3 pluviôse)

    Les juifs de Copenhague se sont occupés depuis quelques années de former un fonds destiné à fournir, en hiver, du bois à brûler à leurs frères nécessiteux. Le fonds s’est tellement accru qu’il a suffi à la distribution de cent cordes de bois

26 février

    On apprend de Tunis que cette ville souffre beaucoup de la misère & du manque de vivres. Le gouvernement, de concert avec les juifs, s’est emparé de la seule branche de commerce, qui consiste à envoyer de l’huile à Marseille, & qui n’est pas très considérable …….

9 mars

    - Les citoyens professant le culte judaïque ont aussi célébré dans leurs temple, à Paris, Metz, Nancy et Strasbourg, l’heureux événement qui vient de sauver les jours du premier consul ; des psaumes ont été chantés, des cantiques récités, pour remercier le Tout-Puissant de cette nouvelle faveur accordée à la France dans la personne de son premier magistrat.

23 avril
PRUSSE
De Berlin, le 12 avril (22 germinal)

    Plusieurs savants juifs se sont réunis pour traduire successivement en hébreux les meilleurs classiques allemands.

28 juillet

    Action de grâces des Français qui professent le culte mosaïque.
    Le 4 de ce mois, à sept heures du soir, les Français des deux synagogues, celle de la rue des Petits-Champs & celle de la rue Sainte-Avoye, qui professent le culte mosaïque, se sont réunis & ont célébré une action de grâces pour l’élévation de sa majesté Napoléon à la dignité impériale.
    Les assistants étaient en grand nombre ; outre ceux qui donnaient cette fête, on y voyait beaucoup de militaires de tous grades & plusieurs membres des autorités civiles, invités par les syndics de la synagogue.
    L’ordre qui a régné dans cette fête auguste laissait pourtant entrevoir la gaieté de cœur de ceux qui la célébraient, & cette gaieté a été encore augmentée par les sons de la musique vocale & instrumentale, exécuté, d’après la composition de M. Jadin, par un orchestre très bien composé.
    Le rabbin, après avoir adressé, à haute voix, à l’Éternel une prière pour la prospérité de l’empire & pour la prolongation des jours de S.M.I., a chanté, avec de jeunes hébreux, des psaumes analogues à la position heureuse dans laquelle se trouve la patrie.
    Une ode, composée en hébreu & traduite en français par un jeune israélite, J. Mayer, a été chantée & distribuée aux assistants. Entre chaque strophe, retentissaient les cris de vive l’empereur Napoléon ! Vive l’impératrice Joséphine ! Vive la famille impériale !
    La synagogue était magnifiquement décorée & éclairée par un nombre prodigieux de lumières, tant en dedans qu’en dehors.
    Les syndics avaient de préférence choisi ce jour-là, parce qu’il répond au quinzième de la lune d’Ab, fêté jadis en Palestine comme le plus grand jour d’allégresse de ce peuple antique.
    L’ode du jeune Israélite J. Mayer, est composé de treize strophes de six vers chacune ; elle est imprimée en très beaux caractères hébraïques, par les soins de M. Marcel, directeur-général de l’imprimerie impériale. La traduction est à côté ; nous en citerons quelques strophes. L’épigraphes, tirée du livre des proverbes, chapitre XXVIII, vers. 2, est heureusement choisie : C’est pour son châtiment qu’un état est régi par plusieurs chefs ; mais la sagesse & l’équité d’un seul le font prospérer. Voici le début :
    « Que la terre chante les merveilles de Éternel ! Sa force nous protège ; sa bonté nous garantit des fléaux destructeurs ; les montagnes se fondent à l’aspect de sa grandeur. D’un mot il créa le monde et son immensité ; son bras redoutable remue le lit de l’Océan ; l’éclat de sa majesté couvre les cieux ; l’univers proclame sa gloire et sa bonté. Mais quels prodiges éclatants il accomplit de nos jours ! Que de clémence, de force et de secours »  ! …
    Nous citerons encore quelques autres strophes qui donneront à nos lecteurs une idée avantageuse de cette composition remarquable, dans laquelle la poésie lyrique, en retrouvant sa langue primitive, semble avoir aussi recouvré les mouvements, le ton & les images qui la caractérisent
    « Ô dominateur des mondes ! Comment, de ton œil pénétrant sais-tu embrasser à la fois l’immensité de l’espace, lire dans les replis cachés du cœur le crime & la vertu, & veiller sur le sort des nations ? Du peuple que tu choisis dans ta miséricorde, la gloire un s’était ternie, & l’éclat de son nom allait s’éteindre à jamais. Alors tu l’enveloppes du manteau de la vengeance; tu te levas fièrement, tel qu’un guerrier enivré de gloire & de colère : l’élu du peuple est désigné aux nations; déjà l’esprit divin le pénètre & l’enflamme; sur les ennemis de Dieu il verse la colère, & par lui les impies vont se perdre  dans l’abîme »  …
    « Ainsi l’on voit quelquefois de profondes ténèbres dérober à la terre les rayons de l’astre du jour ; le tonnerre gronde, les éclairs enflamment l’horizon, & les cèdres orgueilleux tombent déracinés : mais l’orage a-t-il cessé de gronder, la nature sourit & se ranime; les champs se couvrent de leur parure; les habitants de l’air font encore entendre leur ramage; les fleurs exhalent leurs suaves odeurs. Telle, du sein de son infortune, la France est sortie plus radieuse que jamais » …
    « L’Arabe vagabond et l’antique Ismaël … mais arrête, ô ma lyre ! Cesse de vouloir chanter des exploits trop grands pour ta faiblesse: vois plutôt un peuple immense qui se prosterne devant lui, d’une voix unanime le proclame empereur, pose la couronne sur sa tête, et lui donne le nom de souverain et de père » …
    « Ma lyre pourrait-elle t’oublier, en ce jour, impératrice chérie! De toutes les souveraines de la terre que tes vertus et ta bonté ne sont-elles l’exemple ! Nous te remercions, ô Dieu, d’avoir donné la plus digne des épouses au plus sublime des héros ! Elle répand la douceur sur ses jours laborieux; les paroles de charité et de compassion découlent abondamment de ses lèvres; elle consacre son existence au soulagement de l’infortune » …
    « Réveille-toi, ô ma lyre, de ta léthargie profonde ! Fais connaître à l’univers l’allégresse de nos frères, la joie qui inonde leurs cœurs. Que nos temples retentissent de saints cantiques ! Que la myrrhe odoriférante soit brûlée  autour de nos sanctuaires ! Que la vieillesse et l’enfance se répandent an actions de grâces ! Enfants de Sion, qu’au milieu du peuple Français notre sort est fortuné! Que nous sommes heureux de vivre sous l’empire de ce héros en qui une profonde sagesse est unie à une force invincible ! …

28 septembre
ALLEMAGNE
De Hambourg, le 17 septembre (30 fructidor)

    Une ordonnance de police, rendue en Danemarck, défend aux juifs d’enterrer leurs morts avant le troisième jour qui suivra leur décès.

 

30 octobre
De Francfort, le 24 octobre (2 brumaire)

    Les familles des juifs de notre ville & d’Offenbourg, qui ont été arrêtés sur la réquisition de l’Autriche, comme impliqués dans la falsification des billets de la banque de Vienne, & conduits dans les prisons de Strasbourg, ont présenté à Mayence des pétitions à l’empereur, pour supplier S.M. de leur accorder la liberté de leurs pères et de leurs maris ; mais on assure que l’empereur a déclaré qu’il ne pouvait arrêter le cours de la justice, & que le sort de ces détenus ne tarderait à être décidé.

5 novembre
De Hambourg, le 24 octobre (2 brumaire)

    La chambre des domaines de Breslau a décerné deux primes de 50 rixdallers chacune ; l’une à un chapelier du Grand-Goglau, & l’autre à la corporation des tailleurs de Namplau ; au premier, pour avoir enseigné son métier à un apprenti juif ; à la seconde, pour avoir admis à la maîtrise un compagnon de la même religion. Ces primes ont été décernées en vertu d’une ordonnance qui les a établies pour les cas qui viennent d’être cités.

1805

4 janvier
Allemagne

De Hambourg le 26 décembre (5 nivôse)

    On mande de Breslau que le 17 décembre deux familles juives des plus considérables de cette ville par leur fortune & leur commerce, ont embrassé la religion chrétienne & reçu le baptême

12 février
République Batave
De la Haye, le 7 février (18 pluviôse)

    On écrit de Rotterdam; que la vente des marchandises anglaises entrées en contrebande y continue.
    La magistrat de Munster, informé qu’une compagnie de juifs hollandais avait eu la criminelle audace de chercher à introduire en Westphalie des ballots de laine & autres objets provenant de Malaga & autres ports d’Espagne, a pris contre ces infâmes spéculateurs les mesures les plus sévères.

Samedi 2 février 1805

    - Les juifs ont célébré, mercredi dernier, dans leur synagogue, rue Saint-Avoye, une fête religieuse à l’occasion du couronnement de leur majestés impériales. Le temple, orné de guirlandes et décoré de tentures où se voyaient les chiffres de l’Empereur et de l’Impératrice, s’est trouvé trop petit  pour contenir la foule des spectateurs, des sénateurs, des conseillers d’état, des généraux et des fonctionnaires publics de toutes les classes ont assisté à cette fête. On y remarquait aussi des ambassadeurs étrangers. Le rabbin a prononcé un discours français qui a été suivi de chants hébreux et de morceaux de musique de nos premiers artistes, entr’autres le Vivat in opeternum, qui a été entendu avec enthousiasme. Une chose qui a fixé l’attention des spectateurs, est trio dans lequel on a remarqué deux voix bien étonnantes. Une haute-contre que l’on a pu prendre d’abord pour une voix de femme, en ayant toute la fraîcheur, toute la grâce, toute la flexibilité, et une étendue extraordinaire, et une basse contre qui rendait les sons les plus graves de l’orgue. Le ténor avait un organe très agréable et très juste. Il  *** le *** qui prononça ***  ***** ; les d’eux autres ne rendaient que des sons, ou, pour mieux dire, imitaient des instruments. Voici le motif de cette particularité. La loi des juifs leur défend toute espèce de travail les jours du sabath ces jours là, ils ne font point usage de ce qui s’use, et n’emploient point, par conséquent, d’instruments dans leurs cérémonies religieuses. Pour y donner cependant la solennité que les instruments pourraient y ajouter, des chanteurs s’accoutument à les imiter ; mais il paraît que tous n’y réussissent pas aussi parfaitement que ceux que l’on a entendus mercredi, et qu’ils sont les plus parfaits en Europe dans ce genre, car on les a fait venir exprès de Haguenau pour cette fête mémorable.

11 mars
Allemagne
De Frankfort le 4 mars (13 ventôse)

    S.M. l’empereur d’Allemagne vient de faire témoigner, au rabbin Benedetto Zeiteles, combien il était satisfait de l’excellent discours qu’il a prononcé, le 29 janvier, à l’ouvert de le la synagogue. Ce rabbin, après avoir donné lecture des dispositions de S. M. à l’égard de la vaccine, est *** dans des détails qui *** *** *** **** de bienveillance. Il a terminé par faire *** ***  de famille ** devoir *** **** *** ****  ****

31 mars
Allemagne
De Hambourg, le 22 mars (1er germinal)

    Un marchand juif, de Berlin, s’est déclaré propriétaire du billet de loterie, auquel est échu à Londres le lot de 25 000 liv. st.

13 avril
Allemagne
De Hambourg, le 3 avril (13 germinal)

    Voici, d’après la gazette de la cour de Pétersbourg, du 15 mars, les articles principaux de l’ukase du 9 février, qui accorde l’existence civile aux Juifs ou Hébreux dans toute l’étendue de l’empire russe :
    Tous les enfants juifs pourront être reçus & instruits dans les écoles, gymnases & universités ; ils seront reçus membres de l’académie des sciences  de Pétersbourg, & occuperont, selon leur mérite, les différents grades de l’université. Si, malgré cet encouragement, les Hébreux persistaient à ne pas vouloir envoyer leurs enfants dans les écoles publiques, ils seraient tenus d’établir à leurs propres frais des écoles pour leurs enfants, où on leur enseignerait forcément les langues russe, polonaise & allemande. Les Hébreux nommés aux places de magistrature porteront, dans le gouvernement polonais, l’habillement de cette nation, & dans les gouvernements russes l’habit allemand. A commencer de 1808, aucun ne pourra occuper une de ces places à moins qu’il n’écrive & ne lise une de ces trois langues.
    Les Hébreux seront partagés dans les quatre classes suivantes : 1°. agriculture, 2°. fabricants & ouvriers, 3°. Commerçants, & 4°. Bourgeois. Les agriculteurs hébreux seront tous libres : ceux-ci, ainsi que les fabricants, pourront acheter des terres incultes dans les gouvernements de Lithuanie, Russie Blanche, petite Russie, Kiew, Minsk, Volhinie, Podolie, Astracan, Caucase, Ekatherinolaw, Cherson & la Tauride, & en jouir en toute propriété. Ceux qui, par des marchés conclus d’un libre & mutuel accord, s’établiront sur des terres appartenants à des particuliers, seront, pendant cinq ans, exempts de toute imposition. On assignera provisoirement à ceux dénués de fortune, trente mille mesures de terre de la couronne dans les gouvernements précités. Aucun Hébreu ne sera forcé de changer de domicile ; mais ceux qui voudraient s’établir ailleurs seront exempts, pendant dix ans, de toute imposition, à l’exception du droit de cens, & recevront même d’avance une certaine somme pour favoriser leur établissement. Dans tous les gouvernements où les Hébreux se sont déjà établis, tous ceux qui se sont adonnés à l’agriculture seront exempts des doubles impositions pour la couronne.
    Les Hébreux qui s’établiront dans les gouvernements qu’on leur a assignés, auront la liberté d’y établir des fabriques, d’après les mêmes bases & avec les mêmes franchises que tous les sujets russes ; il leur sera même fait à cet effet des avances, qui, dans les gouvernements réunis de la Pologne, pourront monter jusqu’à 200 roubles. Ils pourront même établir des fabriques sur des terres appartenant à des particuliers, & les propriétaires de ces biens recevront à cet effet des avances, en donnant néanmoins un nantissement. Il est permis à tous les ouvriers hébreux de faire, dans les gouvernements indiqués, tous les métiers que les lois autorisent; aucune corporation ou corps de métier ne pourra les entraver dans leurs entreprises ; ils auront, au contraire, la faculté de se faire inscrire dans telle corporation qu’ils jugeront à propos. Les ouvriers hébreux seront, en outre, exempts des doubles impositions. Si, dans le gouvernement où ils sont établis, ils ne trouvent pas d’existence assurée, ils s’adresseront au gouverneur, qui en rendra compte au ministère de l’intérieur : on leur donnera alors les moyens d’exercer avec avantage leur métier dans des gouvernements habités.
    Pour être soufferts en Russie, les Hébreux seront forcés de se faire inscrire dans une classe quelconque; ils jouiront des mêmes droits & de la même protection que le reste des sujets de l’empire; ceux qui se distingueront par leurs connaissances ou par les services rendus à l’état, seront récompensés d’une manière convenable. Personne n’aura le droit, sous quelque prétexte que ce puisse être, de s’approprier le bien d’un Hébreux, de disposer de son travail, & encore moins de lui imposer une taxe personnelle; personne ne pourra les molester & les troubler dans l’exercice de leur religion ainsi que dans leur manière de vivre, soit par des paroles soit par des faits; ils seront placés sous la juridiction de la police de la ville ou de la campagne qu’ils habitent. Les rabbins & autres prêtres qui se permettraient de leur imposer une punition publique, seront punis, pour la première fois, par une amende de 50 roubles; pour la seconde fois, par une amende du double, & pour la troisième fois, par un exil en Sibérie.

Mercredi 13 mai 1805

    - S.E. Mgr le cardinal Antonelli, grand pénitencier de la Sainte-Église, sous-doyen du Sacré-Collège, a administré hier le baptême, dans l’église de Saint-Louis de la Chaussée-d’Antin, d’une demoiselle juive, Hollandaise, âgée de treize ans. Le père de cette demoiselle, riche négociant d’Amsterdam, et baptisé depuis trois ans, était présent à cette cérémonie. Après le baptême, S. E. a prononcé en français un discours très éloquent qui s’adressait principalement à la jeune personne que Église venait d’adopter. Le sujet du discours était tiré de l’évangile de la messe du jour, ou J.C. rappelle aux juifs tous les titres de sa mission ; d’où naissait l’application la plus naturelle et la plus heureuse à la cérémonie qui venait d’avoir lieu. S. E. a rappelé à la jeune fille d’Abraham les promesses de la venue du Messie, faites à ses pères. Le pontife a fait voir ensuite comment toutes les prophéties avaient été accomplies en J.C. Il a montré la dispersion des juifs, l’établissement divin et la perpétuité de Église toujours triomphante malgré les schismes, les hérésies et l’impiété. S.E. a terminé en recommandant à la jeune néophyte l’adoration en esprit et en vérité, qui est le caractère de la nouvelle loi, et la pratique de toutes les vertus chrétiennes, surtout le charité. En parlant des triomphes de la loi de l’Évangile, S.E. a été amené à célébrer les miséricordes du Ciel sur la France, cette grande et précieuse partie de Église;  il a rendu hommage aux grandes vue du monarque qui rétablit la société sur sa véritable base ; celle de la religion ; et il a vu un gage de la conservation de la foi parmi nous, dans les marques touchantes et universelles de vénération et d’amour filial qui fait éclater en tous lieux la présence du vicaire de J.C.
    S.E., après avoir célébré la messe, a donné la confirmation à la jeune néophyte et à quelques autres jeunes personnes. Elle a ensuite donné de forts beaux chapelets au négociant hollandais, à sa fille, au parrain et à la marraine.

13 juillet
Allemagne
De Hambourg, le 4 juillet (15 messidor)

    On mande de Varsovie que les juifs de cette ville s’étant, contre l’usage, promené dans les rues où la procession du Saint-Sacrement devait passer le jour de la Fête-Dieu, des chrétiens trop zélés voulurent les forcer de rentrer; les juifs résistèrent, & quelques-uns d’entr’eux ont payé de leur vie leur téméraire entreprise. La force armée fut obligée d’intervenir pour rétablir le calme.

19 juillet
Allemagne
De Munich, le 9 juillet (20 messidor)

    Il vient de paraître une ordonnance électorale concernant les juifs de cette ville, dont voici les principales dispositions :
    « La protection accordé aux Juifs ne pourra s’obtenir que de l’autorité souveraine ; ils pourront habiter des maisons à eux appartenant, ou en louer. La police tiendra les registres de leurs naissances, mariages & morts ; chaque famille juive aura son numéro : en conséquence le mariage ne sera permis qu’à un seul enfant de chaque famille, lequel succédera à son numéro. Les autres enfants ne pourront se marier que dans le cas où il y aura diminution dans le nombre des familles. Les veuves ne pourront se remarier que lorsqu’elles n’auront pas d’enfants. Un juif étranger ne pourra se marier qu’en apportant dans le pays un capital considérable. Tout juif, pour se marier, devra obtenir la permission de la police, & posséder au moins la valeur de 1000 florins. Les Juifs en général ne pourront avoir que le nombre de domestiques strictement nécessaire, & il sera défendu à ces domestiques de faire aucune espèce de commerce. Il est également défendu de faire venir dans la capitale des familles entières sous le nom de parents, associés, instituteurs, &c. Il est permis aux juifs d’établir des manufactures & d’exercer les métiers qui ne forment point de corporation; mais il leur est de nouveau défendu de colporter des marchandises. Leurs livres de commerce & leurs marchés doivent se tenir en allemand. Ils devront s’abstenir de traiter avec des mineurs, & d’importer dans le pays des monnaies d’échange qui ne seraient pas sur le pied de convention. Les Juifs sont d’ailleurs exempts de toute taxe personnelle ; mais ceux qui jouissent de la protection de l’électeur devront payer à la caisse de l’état un droit de vingt florins par familles ».

25 juillet
Afrique
D’Alger, le 5 juillet (16 messidor)

    Aucun favori, même turc, n’a joui auprès du dey d’une influence semblable à celle que le juif Naftalé Busnah était parvenu à acquérir auprès de celui-ci. Busnah distribuait les emplois ; il créait même & destituait les beys ou gouverneurs des provinces, avec lesquels il avait une correspondance particulière. Il s’était emparé de tout le commerce, & ne souffrait aucune concurrence ; il gouvernait la marine d’Alger & celle des autres ports du royaume; les corsaires ne sortaient que quand il le jugeait convenable, & il s’emparait de toutes les prises sans même qu’elles fussent mises à l’encan. Ce système était soutenu par une insolence mêlée de la plus insigne bassesse, mais jointe à beaucoup de courage.
    L’indignation de la milice était profonde ; la disette sans exemple que nous éprouvons, parce que Busnah a envoyé tous les blés du royaume aux ennemis de la régence ; les révoltes de la provinces de Constantine, & celle surtout très sérieuse de Mascara, nées de ses exactions sur les beys, ne pouvaient que l’accroître. Le 9 de ce mois, à 7 heures du matin, il a été atteint, près de la maison du dey d’un coup de pistolet qu’un Turc, nommé Yâhiâ lui a tiré, en lui disant : salut au gouverneur d’Alger. Quelques noubadjis de la garde du prince sont accourus, & ont voulu arrêter l’assassin. Celui-ci en a imposé par une contenance ferme, & prenant d’une main celui de ses pistolets qui était encore chargé, et de l’autre son yataghan : J’ai tué,  a-t-il dit,le misérable Juif qui vous tyrannise depuis longtemps : vous êtes des Juifs comme lui si vous attentez à ma personne. Les noubadjis se sont retirés, & le Turc a gagné paisiblement sa caserne. Busnah a été porté dans sa maison, où il est mort trois heures après.
     Yâhiâ a confessé à ses camarades l’action qu’il venait de commettre, en leur demandant s’ils étaient déterminés a le défendre ; il leur a dit que, dans le cas contraire, il allait gagner les montagnes. Tous ont juré qu’ils mourraient plutôt que de consentir à le livrer. Des députations des autres casernes de la milice se sont réunies auprès de lui pour faire le même serment. Un grand nombre d’habitants ont imité cet exemple, & ont voulu baiser la main que la Providence, ont-ils dit, avait choisie pour délivrer leur pays du monstre qui les opprimait. Dans la soirée le dey a pardonné à l’assassin, en lui envoyant son chapelet suivant l’usage. On a été obligé de faire accompagner le corps de Busnah par une nombreuse garde. Le peuple voulait le brûler, & lapider ceux qui le portaient.
    Le 10, de grand matin, la milice est sortie de ses casernes. Elle a massacré tous les juifs qu’elle a pu atteindre dans les rues. Elle s’est ensuite portée dans les maisons & magasins de Busnah, qui ont été enfoncés & pillés. Les Maures & populace barbare des Piskris & des Kbaïls se sont joints à elle ; ils ont brisé les portes de tous les juifs, & le pillage est devenu général : il était encouragé par les cris de joie des femmes répandues dans les rues & sur les terrasses. Après quelques heures de ce sac affreux, le dey, dont la garde était restée immobile dans le palais, dépêcha quelques membres du divan aux casernes ; ils furent chargés de dire à la milice que le prince n’aimait    pas plus les juifs qu’elle, & que, si elle le désirait, il ne conserverait à Alger que ceux qui professaient les arts mécaniques, et dont le nombre était fixé par la convention que Barbe Rousse fit anciennement à la nation hébraïque. Cette démarche du Dey calma la milice, qui rentra successivement dans les casernes. La régence fit traîner par des esclaves les cadavres qui se trouvaient dans les rues, & ils furent brûlés sur la place de Bab-el-Oued, aux acclamations d’un peuple immense.
    La journée du 11 n’a été troublée que par l’apparition de l’assassin de Busnah, qui se présenta en armes devant le palais du dey, en disant qu’il était instruit qu’on voulait le punir, & qu’il était prêt à subir la sentence. Le prince lui fit répondre que sa parole était sacrée, & qu’il n’avait rien à craindre.
    Le 12, on a fait embarquer tous les juifs qu ‘a pu contenir un bâtiment impérial qui se trouvait dans le port.
    Les journées des 13 & 14 ont été tranquilles. La milice a un peu volé ; elle a été très offensé qu’on ait pu attribuer les excès commis au désir du pillage. Elle a rendu librement tout ce qui a été porté dans les casernes. C’est dans la maison des Maures & dans les mains des Piskris & des Kbâïls, qui les ont portées dans les montagnes, que se sont englouties les richesses des Juifs.
    On varie sur le nombre des morts ; mais il n’est pas si grand qu’on l’avait d’abord imaginé. Celui des blessés est considérable.
    Il y a quatorze ou quinze mille Juifs à Alger ; ils étaient surtout riches en diamants, perles & bijoux de toute espèce; la plus misérable juive porte à la tête une sarma en or, qui ne peut guères valoir moins de 300 piastres. Elles ont toutes été enlevées. Les pertes que la nation hébraïque vient de faire dans cette circonstance sont incalculables.
    Plus de deux cents individus, hommes, femmes & enfants, se sont réfugiés, pour la plupart nus, dans la maison du commissaire-général français, où le pavillon de S.M. les a sauvés.
    L’aga a été battu à quelques journées d’Alger ; le nouveau bey n’a pu pénétrer, & l’ancien est toujours enfermé dans Oran. Des munitions de guerre sont envoyées par terre & par mer.
    Aujourd’hui la régence à fait annoncer dans les casernes que les Maures ont des projets hostiles contre les Turcs, & elle a engagé la milice de ne pas se dessaisir de ses armes. Est-ce une adresse du gouvernement, qui veut détourner de dessus lui l’attention de la milice ? Ou est-ce le résultat des mauvaises nouvelles qui arrivent du Ponant ? Quoi qu’il en soit, la régence a fait pendre à la porte de Bab-Azoon trois Maures, chez lesquels on prétend avoir trouvé des armes & de la poudre ?
    Le massacre & le pillage des Juifs à la Bélide n’ont pas eu lieu, comme on l’avait publié.

7 août
Italie
De Livourne, 24 juillet ( 5 thermidor)

    L’horrible massacre d’Alger est confirmé. Hier, il est arrivé dans ce port, après dix jours de navigation, une polacre ragusain ayant à bord 279 juifs & une chrétienne qui y était esclave. Le capitaine Gio-Senchich rapporté que le prix excessif des denrées de première nécessité avait exaspéré les habitants & les troupes. L’insurrection éclata par le massacre de Busnah, premier ministre & agent du consulat de Raguse. L’attroupement se porta contre les juifs, & il y en eut 130 de tués & autant de blessés. Le dey fut menacé de perdre la vie s’il ne consentait pas au pillage des maisons des juifs. Au fort de l’émeute, les Bédouins jugeant que le moment de secouer le joug des Musulmans était venu, se précipitant des montagnes des Cabaili, se présentèrent au nombre de 10 mille hommes à cheval, aux portes de la ville. On résista ; le bey d’Oran se mit en mouvement avec 4 mille hommes de troupes : après quatre jours de marche, il attaqua & fut battu, mis en déroute, & obligé de chercher son salut dans la fuite. Au départ du bâtiment, la situation d’Alger était des plus tristes ; les habitants avaient pris les armes. Les Bédouins, enorgueillis par la victoire obtenue sur le bey d’Oran, empêchaient l’entrée des vivres & menaçaient d’irruption. Néanmoins les maisons des consuls étrangers étaient respectées. Les esclaves chrétiens ont obtenu des faveurs, & plusieurs ont eu le bonheur de recouvrer la liberté. Le gouvernement a fourni aux juifs fugitifs du pain, des olives, de l’huile & du vinaigre, & a donné 500 pièces pour le fret du bâtiment : ils ont tous la liberté de partir, *******

20 août
Allemagne
De Frankfort, le 14 août (26 thermidor)

    La cour de vienne vient de rendre plusieurs ordonnances pour protéger ses sujets, particulièrement dans les provinces polonaises, contre l’avidité des juifs. Il a été défendu aux juifs de la Galicie & de Bukoffiine d’acquérir des immeubles, & même prendre aucunes tenues à bail autres que celles qu’ils cultiveront eux-mêmes. Les autorités sont tenues, sous leur responsabilité, d’empêcher qu’aucun juif prenne un domicile ou exerce une industrie qui ne lui est point accordée par les lois. On attribue principalement cette ordonnance à une spéculation des juifs qui devenait très onéreuse pour les cultivateurs. Ils affermaient des terres considérables qu’ils sous louaient ensuite par parties aux paysans, au prix qu’ils voulaient, & qui ruinent les sous-fermiers.

25 août
Allemagne
De Francfort, le 17 août (29 thermidor)

    Les dernières nouvelles de Vienne annoncent que les moissons les plus abondantes ramènent la sécurité & font renaître la joie dans toutes les provinces des états héréditaires, & principalement en Gallicie. On espérait que l’exportation des grains, défendue au port de Dantzick, y serait bientôt permise. Déjà la ville de vienne se res *******

5septembre
Afrique
D’Alger, le 24 juillet (5 thermidor)

    Il est difficile de se faire une idée des horreurs du sac épouvantable auquel les 12 ou 15 mille juifs qui résident à Alger ont été livrés pendant trois ou quatre heures. Le massacre général, les femmes et les enfants exceptés, avait été déterminé par la milice. Des soldats féroces sortent précipitamment de leurs casernes, l’iataghan & le pistolet à la main; toute la populace barbare de la ville se joint à eux ; ils sont encouragés par les cris de joie des femmes, disons plutôt de furies, répandues sur les terrasses & dans les rues. Heureusement c’était samedi, jour de fête pour les juifs ; un très petit nombre se trouvait dans les rues. Mais bientôt les soldats enfoncèrent les portes de leurs maisons ; les richesses qui s’offrent à leurs yeux sauvent la malheureuse nation hébraïque : ils abandonnent le carnage pour ne s’occuper que du pillage ; les bijoux dont étaient parées les femmes, sont arrachés, & tous les genres d’horreurs commis envers elles. Le pillage devient alors général; un silence profond succède aux cris féroces : on ne voit dans les rues que des hommes & des femmes allant & venant chargés de dépouilles ; & en moins de trois heures, toutes les maisons juives sont restées avec les quatre murailles. On ne cite que deux maisons riches, celle de MM. Bacri & Daninos qui aient échappé au pillage, parce que l’une se trouvait placée à côté de celle d’un grand & que la régence a eu le plus grand intérêt à sauver l’autre, qui lui doit, dit-on, plus de 400 000 piastres fortes. Cependant M. Bacri assure qu’il a perdu au-delà de 150 000 sequins. Peu de villes en Europe, proportion gardée, renfermaient d’aussi grandes richesses qu’Alger : tout le monde s’accorde à dire que celles qui ont été enlevées dans cette circonstance sont immenses. Les sommes énormes & les effets précieux pris par les Priskris & les Kbaïls sont déjà enterrés dans les montagnes & ne reparaîtront jamais.
    Le Turc qui a assassiné Busnah, après avoir reçu le chapelet de pardon & obtenu la liberté de sortir du pays, s’est réfugié le 17 sous le pavillon anglais. Il a été embarqué, quelques jours après, par le consul pour Gibraltar, d’où, dit-on, il doit se rendre à Londres. On ne pense pas qu’on doive attribuer à aucune influence des Anglais la perte de Busnah, qui d’ailleurs les avait si bien secondés contre l’opinion même du dey, dans le dernier arrangement qu’ils ont fait ici ; mais partout où il se trouvera un agent du gouvernement de Londres, on le verra toujours disposé à accueillir & protéger l’assassin même de celui qui l’aura servi.
    Le dey a fait publier ces jours derniers que toute femme qui paraîtra dans les rues avec une sarma d’or, des boucles d’oreilles ou tous autres bijoux, serait jetée à la mer & son mari pendu.
    L’inquiétude est toujours très grand dans le pays. Le gouvernement est partagé entre la crainte de la milice & des Maures ; il attend avec une vive impatience des nouvelles de la province de Mascara. L’aga, dont le camp a été inondé d’un grand nombre de Kouloglons, & de quatre à cinq cent Turcs arrivés du Levant, a obtenu quelque succès ; il est, dit-on, réuni au calife, à une journée et demie d’Oran, le nombre de rebelles, qui bloquent cette place, est toujours considérable : le nouveau bey, fils d’un grand gouverneur, & qui avait une grande influence sur les Maures, y est entré par terre ; il leur a fait signifier son arrivée & donner l’assurance qu’il n’exigerait d’eux que les redevances qui avaient été perçues par son père. Les rebelles ont répondu que, depuis trop longtemps, des étrangers gouvernaient dans leur pays, & qu’ils ne déposeraient les armes que lorsqu’ils se seraient affranchis de leur joug, devenu insupportable.
    Les Anglais ont, depuis longtemps, formé le projet de s’établir à Oran ; le nouveau consul avait même fait, à cet égard, quelques ouvertures qui avaient été repoussées. Le gouvernement de Londres, toujours habile à tirer avantage des malheurs des autres, a voulu profiter de cette circonstance pour effectuer son projet. Six armements de guerre se sont présentés devant Oran; le commandant a offert au bey 500 canonniers & 500 cavaliers, en l’assurant qu’il n’avait pas de meilleur ami que son roi. Le gouverneur d’Oran a refusé ce secours généreux.
    Les corsaires sont rentrés, un chebeck de 52 pièces de canon excepté; ils ont fait six ou sept prises napolitaines & génoises, munies de passeports sardes : plusieurs ont été vendues à Tunis. Dix-huit esclaves seulement ont été débarqués ici ; un nommé Massabo, Français, né à Menton, département des Alpes-Maritimes, est du nombre. Muni de passeport en règle, il naviguait comme subrécargue sur un bâtiment napolitain, nommé les Ames du Purgatoire. Arraché du bord avec précipitation, il n’a pas eu le temps de saisir ses papiers qu’il avait cachés. Malheureusement son bâtiment n’a pas paru ici, & la régence a persisté à le considérer comme Napolitain. Les Français qui s’embarquent comme passagers sur des bâtiments ennemis des régences, ne doivent jamais se dessaisir de leur passeport français, qui seuls peuvent les faire reconnaître ici.
    Deux des Français tombés au pouvoir du pirate de Gigeri, sont parvenus à se sauver. Après s’être réfugiés dans le camp du bey de Constantine, ils sont arrivés ici le 31 mai. Deux autres s’étant procuré des armes, se sont fait jour dans les montagnes, après avoir tué quelques kbaïls, & sont arrivés à Constantine. Un autre s’est déguisé en kbaïl ; il parle déjà la langue de ces barbares; & après un pénible voyage, pendant lequel il n’a vécu que d’herbes, il est arrivé à Bougié, où il s’est embarqué.
    Les armements napolitains se mêlent sur les côtes de la Caille aux corailleurs français & nuisent à leur pêche ; ils ont même des canons, & souvent, lorsqu’ils attaquent les Maures, ils arborent pavillon français. C’est ainsi qu’ils ont pris récemment un sandal algérien, & une tartane tunisienne chargée de différente marchandises appartenant à des négociants de Constantine & de Bonne.

Jeudi 15 août 1805
NOUVELLES ETRANGERES
Italie
Livourne, 25 juillet

    D’après des avis ultérieurs d’Alger, publiés par la commission de santé de ce port, le nombre des juifs tués dans la dernière insurrection est de 136 ; il y a eu à peu près autant de blessés. On évalue à 4 millions de piastres l’argent et les objets précieux qui ont été pillés. Les consuls étrangers, et particulièrement celui de France, sont intervenus avec énergie dans cette occasion ; ils ont accueilli tous les juifs qui ses ont réfugiés chez eux, et les ont soustraits à la fureur des rebelles. Ces derniers étaient d’abord peu nombreux ; mais ils ont été joints, comme nous l’avons dit, par les équipages de l’escadre barbaresque rentrée dernièrement à Alger. (Elle s’est emparée dans sa croisière de trois bâtiments, l’un napolitain, l’autre génois et le troisième sarde.) On craint avec raison que cette troupe furieuse et sans frein ne fasse de nouvelles tentatives et ne réussisse dans son projet, qui est de renverser le gouvernement turc. Dans ce dernier cas, les juifs qui se trouvent encore à Alger, seraient exposés aux plus grands dangers.

    On apprend aussi que les Bédouins s’étant réunis aux Arabes de la campagne d’Oran, ont attaqué et mis en déroute complète le bey qui commandait dans cette partie, et qui avait sous ses ordres environ 6000 hommes. Depuis ce moment les arabes tiennent la ville d’Alger bloquée et interceptent tous les transports de vivres.

6 septembre
Allemagne
De Francfort, le 31 août (15 fructidor)

    On écrit de Ratisbonne qu’on s’y occupe de l’état des Juifs, & de leurs droits civils. Des principes déjà convenus promettent à cette nation une manière d’exister plus analogue au degré de civilisation qu’ont acquis toutes les autres classes du peuple en Allemagne. Les bases du nouveau système qui doit soumettre les Juifs aux lois de la police générale sont arrêtées, & M. le baron de Globig, qui était attendu sous peu de jours de Dresde, devait apporter la sanction de sa cour au plan projeté.

11 octobre
Afrique
D’Alger, le 6 septembre (19 fructidor)

    Les événements les plus terribles ont enfin terminé les agitations où nous vivions ici depuis quelques temps. Le 1er de ce mois, la mine sur laquelle nous étions a tou-à-coup éclaté. L’insurrection a commencé dans les casernes ; les soldats se sont répandus dans la ville, qui, pendant plusieurs heures a été menacée d’un pillage & d’un massacre général. La milice s’est ensuite portée au palais ; le dey & son premier ministre ont été massacrés. Un nouveau prince, nommé Akmeth, a été jeté sur le trône, & dans le jour même il a reçu les hommages accoutumés. Depuis ce moment, la fermentation s’est calmée progressivement, le gouvernement s’est affermi, les traités de la France avec la régence ont été solennellement renouvelés : le nouveau prince a juré de les maintenir, & la ville est assez tranquille, Mais si les 200 captifs, si heureusement délivrés par M. Jérôme Bonaparte, étaient encore dans les fers, il serait impossible d’obtenir leur liberté, aujourd’hui que la soldatesque la plus séditieuse & la plus féroce qu’il y ait au monde, a repris tout son empire & qu’elle gouverne ou le nom d’un prince, qui est sorti de ses rangs pour monter sur le trône ensanglanté de son prédécesseur.
    Nous annonçons aussi, avec satisfaction, que les kabyles habitants des montagnes de même nom, situées non loin de cette ville, viennent enfin de se retirer dans leurs antres sauvages, après avoir joué un long rôle dans nos derniers troubles. Ces barbares, impatients de tout frein, & qui passent pour les habitants indigènes, sont grands, forts, ont les yeux & les cheveux noirs, le regard affreux & la tête rasée. Ils sont insensibles au froid et au chaud, dorment à l’air, exposés au soleil ou aux plus fortes pluies ; du pain grossier & des olives sont leur nourriture ordinaire ; l’eau est leur unique boisson ; la liberté & l’indépendance leur passion favorite. Les vieillards sont très respectés parmi eux. Les prêtres ou marabouts y jouissent d’une confiance sans bornes, décident de la paix & de la guerre, envoyent des députés aux autres tribus & en sont regardés comme les chefs. Le chef marabout établit ordinairement sa demeure près du tombeau de son prédécesseur, sur lequel est planté le drapeau des combats. Les kabyles sont mahométans ; ils ont toute l’ignorance des sauvages & la superstition des fanatiques. Ils sont cruels & particulièrement altérés du sang des juifs & des chrétiens. Ce sont eux qui ont commis les plus horribles dégâts dans la ville, dans la révolution qu’elle vient d’éprouver.
    M. Dubois-Thainville, chargé d’affaire de France & commissaire-général des relations commerciales, a , dans ces circonstances difficiles, soutenu la dignité de la nation avec beaucoup de sagesse & d’habileté.

GAZETTE DE FRANCE
Jeudi 10 octobre 1805

NOUVELLES ETRANGERES
AFRIQUE
Extraits d’une lettre écrite par un Français établi à Alger; en date du 4 septembre

    « Les événements les plus terribles ont enfin terminé les agitations où nous vivions ici depuis quelque temps. Il est heureux que la négociation confiée à M. Jérôme Bonaparte pour la délivrance des esclaves liguriens ait été conduite avec autant de prudence que d’énergie, et  que ce jeune commandant ait déployé tant de courage et d’activité dans la position périlleuse où il se trouvait. La plus vive fermentation régnait dans la milice barbare qui tyrannise cette régence, et la férocité d’une populace sans frein se joignait à elle pour s’opposer au départ des esclaves. A peine furent-ils partis, qu’in brick  de guerre parut à l’ouest d’Alger; c’était la mouche de plusieurs vaisseaux anglais, qui furent signalés au large par le vigie des montagnes. Ce brick observa la rade pendant une partie de la journée, et disparut vers le soir. L’apparition de ce bâtiment semblait avoir redoublé la fureur de la milice, qui s’était vue arracher sa proie avec tant de regrets. Le 1er de ce mois, la mine sur laquelle nous étions a tout à coup éclaté. L’insurrection a commencé dans les casernes; les soldats se sont répandus dans la ville, qui, pendant plusieurs heures, a été menacée d’un pillage et d’un massacre général. La milice s’est ensuite portée au palais ; le dey et son premier ministre ont été massacrés. Un nouveau prince, nommé Akmeth, a été jeté sur le trône, et dans le jour même il a reçu les hommages accoutumés. Depuis ce moment, la fermentation s’est calmée progressivement, le gouvernement s’est affermi, les traités de la France avec la régence ont été solennellement renouvelés; le nouveau prince a juré de les maintenir, et la ville est assez tranquille. Mais si les 230 captifs, si heureusement délivrés par M. Jérôme Bonaparte, étaient encore dans les fers, il serait impossible d’obtenir leur liberté, aujourd’hui que la soldatesque la plus séditieuse et la plus féroce qu’il y ait au monde, a repris tout son empire et qu’elle gouverne sous le nom d’un prince, qui est sorti de ses rangs pour monter sur le trône ensanglanté de son prédécesseur.
    « M. Dubois-Thaiville, chargé d’affaire de France et commissaire-général des relations commerciales, a, dans ces conditions difficiles, soutenu la dignité de la nation avec beaucoup de sagesse et d’habileté. »

5 novembre 1806
EMPIRE FRANCAIS
Gênes, 26 octobre

    Le retour des esclaves délivrés à Alger, par les soins de M. Jérôme Bonaparte, a répandu la joie dans un grand nombre de familles liguriennes, qui n’espéraient plus de revoir ces infortunés. M. l’évêque d’Albenga vient de publier à cet égard un mandement, où nos sentiments et nos vœux sont fidèlement exprimés. Tandis que le Te Deum retentit dans toutes les églises de l’Empire pour des victoires qui effacent les plus beaux souvenirs, les peuples de la Ligurie chantent aussi l’hymne de la reconnaissance pour un triomphe qui ne coûte rien à l’humanité. Voici le mandement de M. l’évêque d’Albenga :
    « Les plus heureux événements, N.T.C.F., préviennent l’acte solennel de notre réunion à l’Empire français.
    Deux cent trente infortunés génois qui gémissaient dans l’horreur du plus cruel esclavage, et qui désespéraient de jamais revoir leurs femmes, leurs enfants et leur patrie, viennent d’être rendus à la liberté, et leur retour va combler de joie leur famille.
    « L’ange libérateur qui a brisé leurs fers, est le frère de notre empereur et roi. Mais que dis-je ! Le véritable libérateur, n’est-ce pas l’Empereur lui-même ? N’est-ce pas à sa bienfaisance, à son cœur généreux, à sa providence paternelle que nos malheureux compatriotes ont dû leur délivrance ? Ni les soins d’un grand Empire, ni le bruit de si formidables appareils de guerre ne l’ont empêché de s’occuper de ce généreux dessein. Calme dans ses projets les plus hardis, et sûr d’avance du succès, un tendre sentiment a attiré ses regards sur vous, et lui fait trouver le moyen de combler d’une joie inattendue ses nouveaux sujets.
    « Célébrons donc, N.T.C.F., célébrons avec reconnaissance cet heureux événement : adorons l’incompréhensible providence de Dieu, qui, sans le vain secours de la politique des hommes, et par le seul effet de sa sagesse, a marqué le temps présent pour l’époque de notre réunion à l’Empire français, afin que, devenus, de notre propre volonté, sujet du plus grand monarque dont les siècles et l’histoire aient conservé le souvenir, nous aimassions et honorassions en lui l’instrument de la bonté divine envers les Génois.
    « Pendant que, pour vous procurer une honorable et solide paix, que lui seul, après Dieu, peut vous donner, il enflamme encore le courage impatient de ses armées de terre et de mer; qu’il remplit de merveilles l’Europe étonné, et jette la terreur et la consternation dans l’isle du perfide anglais; demandons, N.T.C.F., demandons à Dieu qu’il lui donne une inaltérable et florissante santé; qu’il bénisse les généreux desseins de son grand cœur; et si, malgré ses vues magnanimes et pacifiques, nos ennemis, insensibles à la honte et sans pitié pour la triste humanité, veulent renouveler une guerre désolatrice, élevons nos voix, N.T.C.F.; redoublons nos prières; demandons au Dieu des armées qu’il ne verse que sur eux le fléau de la colère; qu’il arme contr’eux les éléments et la mort; et qu’au milieu des cantiques de joie et de reconnaissance de tous les peuples, il fasse couronner par les mains de la victoire, de la paix et de l’humanité, l’invincible Empereur et Roi Napoléon 1er. »

Le Publiciste du 10 novembre 1805

Aux Rédacteurs du Publiciste

    Vous venez, messieurs, de débattre dans votre journal de l’état des Juifs chez presque toutes les nations, les rigueurs qu’ils éprouvent, les maux qu’ils font, les vices qu’on leur reproche, les remèdes que de meilleures lois pourraient apporter à leurs vives & à leurs maux. Il n’est pas inutile de rappeler que cette question, qui occupe aujourd’hui les gouvernements & les écrivains en Allemagne, avait été proposée, en 1875, par l’Académie de metz. Le prix ne fut pas adjugé, & la révolution, qui survint bientôt après, se chargea de résoudre cette question ; aussi, en France, les Juifs ne se plaignent plus & on ne plaint plus d’eux. Ce n’est plus que par un sentiment de philanthropie que ce sujet peut nous intéresser : au défaut des discours qui avaient été demandés par une de nos académies, je crois pouvoir reproduire un morceau publié alors dans le Mercure, si vous le jugez digne d’occuper quelques pages dans votre journal ; ce morceau était de M. Lacretelle aîné, membre de la classe de la langue & de la littérature française.
    « C’est un étonnant spectacle que l’histoire de ce peuple qui, dès avant la chute de l’Empire romain, existe chez toutes les nations de la terre, sans y être jamais incorporé ; qui, étranger partout, n’a pas un coin dans le monde qui soit ni sa patrie, ni son asile. Comment a-t-il pu tomber dans cet état ? Comment y est-il resté ? Il y a dans cette destinée quelque chose de bien étrange qui mérite d’être remarquée et expliquée.
    Quels étaient les droits d’un peuple réduit à un état si déplorable ? Quels étaient les intérêts des peuples, parmi lesquels il habitait ? Toutes ces questions, ce me semble, doivent entrer dans le tableau des révolutions & de persécutions qu’ont éprouvées les juifs, en former le résultat & comme la moralité. On ne peut disconvenir que la bassesse d’âme & l’industrie mercantile ne soient les deux caractères auxquels ont les reconnaît dans tous les pays. Cette industrie, qui a été prodigieuse, ne mérite-t-elle pas de la protection ? Les vices qui l’accompagnent ne naissent pas plutôt de la situation de ce peuple que de ses mœurs ? Tiennent-ils à sa religion, à sa police, à ses habitudes ? Est-il des vices, des habitudes, que la sagesse & la vigilance des lois ne puissent changer ? Il y a ici des erreurs bien faciles à démontrer, mais qu’il faut attaquer avec force, parce qu’elles sont des préjugés, en quelque sorte confirmés par l’expérience.
    Comment peut-on réformer le caractère moral de ce peuple ? Quelles ressources offrent pour cela ses besoins, ses malheurs, ses dispositions actuelles, les traitements plus adoucis qu’il a déjà su se ménager ? Faut-il tout d’un coup lui donner tous les droits du citoyen ? Une justice si entière & qui ne lui laisserait plus rien à désirer, ne lui laisserait-elle pas une partie de ses vices dans une nouvelle fortune ? Ne vaut-il pas mieux, en cessant toute oppression, lui offrir des encouragements successifs qu’il apprendra sans cesse à mériter ? Ne sera-ce pas lui faire un double bien d’élever son âme, d’extirper ses basses habitudes, avant de lui rendre tout qu’il a droit d’attendre ? Ceci exige un plan d’administration bien conçu qui puisse admettre des variations & des modifications, relativement aux divers lieux où les Juifs ont des établissements. »
    De tous les opprimés, les juifs sont ceux qui ont le moins attiré ou mérité la compassion des écrivains. Ils ont simplement obtenu une faible justification de la part des historiens qui ont écrit les tyrannies exercées sur eux; là s’arrêteraient leur reconnaissance, si Montesquieu n’avait placé dans leur bouche sa belle réclamation contre le tribunal de l’inquisition ; je suis obligé de descendre jusqu’à ces derniers temps pour trouver un morceau à citer en leur faveur. Je le trouve dans un Mémoire publié en 1778 : il s’agissait d’obtenir pour deux juifs la liberté de lever des brevets dans les corps & métiers d’alors, que le gouvernement accordait à qui voulait les acheter. Après avoir établi leurs droits par les dispositions générales de l’édit, leur défenseur examinait la question sous le point de vue moral & politique.
                            (La suite à une autre feuille)

Le Publiciste du 11 novembre 1805

De l’adoucissement qu’il conviendrait d’apporter à l’état des Juifs en France. (Voyez la feuille d’hier)

    Quand on embrasse d’un coup d’œil toute l’histoire de ce peuple, en écartant même ce caractère sacré qui lui a été imprimé par la main de Dieu, toujours présente dans ces fortunes diverses, en ne le considérant qu’avec les yeux de la politique humaine, on ne peut s’empêcher de reconnaître dans son sort quelque chose qui n’est pas des destinées ordinaires.
    Les livres que Moïse laissa aux juifs, leur disent que toutes les autres nations doivent un jour leur obéir ; & dès-lors ils font avec elles un divorce éternel ; ils sont le peuple saint ; elles sont des peuples profanes & proscrits. Soit que ces nations leur disputent un chétif territoire, soit qu’elles les humilient dans ces longues captivités si déplorées par leurs poètes & leur prophètes, jamais ils ne renoncent aux promesses qui leur ont été faites ; ils n’ont besoin, pour entretenir leur foi, que d’une seule chose ; c’est de subsister.
    Cette époque de grandes révolutions, où tout change dans l’univers, les mœurs, les gouvernements, les religions, & qui ouvre dans les fastes du genre humain une seconde histoire, cette époque est précédée par la dernière, la plus terrible catastrophe des juifs. Ce temple où reposaient tant de magnifiques espérances, tombe ; & la nation entière, sans asile, sans chef, sans aucun lien entre ses membres, dispersée sur toute la terre, se trouve en proie, non plus à des vainqueurs qui ne lui imposaient que la servitude, mais à des nations, à des religions ennemies, nées dans son sein, et qui la persécutent avec cette fureur qui caractérise les haines de famille. Néanmoins, elle est debout encore, cette nation tant opprimée ; contemporaine des Assyriens, des Égyptiens, des Mèdes, des Perses, des Grecs, des Romains, elle leur survit à tous, elle se survit à elle-même ; & si Jérusalem renaissait, de tous les coins du monde ses enfants lui reviendraient; il lui rapporteraient les mêmes lois, & presque les mêmes mœurs qui leur furent données Il y a plus de trois mille ans.
    D’autres peuples ont été institués pour différents genres de gloire ou de bonheur ; celui-ci a été institué pour durer toujours, & ne ressembler qu’à lui-même : c’est que tout se tient dans sa constitution. Ce peuple n’a de mœurs que par ses lois, de lois que par sa religion : & sa religion lui commande essentiellement une vertu, parfaitement compatible avec la nature humaine, une entière soumission aux décrets de la divinité, soit qu’elle récompense, soit qu’elle châtie ; & cette vertu lui rend tout supportable dans sa misère, & consacre à ses yeux jusqu’à son avilissement. Si l’on remarque aujourd’hui quelque disposition dans ce peuple à entrer dans la société générale des autres nations, lorsque celles-ci daigneront les y recevoir, c’est l’effet des lumières augmentées & répandues, auxquelles il est réservé d’opérer insensiblement de grandes révolutions dans le monde. Il était de la destinée des juifs, non d’échapper à l’influence des progrès de la civilisation & des connaissances, mais de ne céder à aucun autre gouvernement, à aucune autre religion ; & tel est l’avantage particulier d’un gouvernement théocratique qui s’appuie sur la stabilité même de l’Entre éternel.
    L’esclave, qui ne veut pas se rapprocher des mœurs & des opinions de ses maîtres, doit se résoudre, sur tout le reste, à la plus vile obéissance : cela seul explique le caractère moral que l’on reproche à ce peuple.
    Je ne craindrai pas de prévenir le portrait que l’on pourrait faire ; j’aurai le droit ensuite d’examiner si ce peuple, tel qu’il est ou tel qu’on le croit, n’est pas justifié peut-être par le triste & honteux état où nous le maintenons.
    On observe que, toujours moins affermi qu’exposé par ses richesses, le juif cherche sans cesse, dans son économe industrie, à gagner sur les autres peuples & à ne rien lui rendre.
    Familiarisé avec le mépris, il fait souvent de la bassesse la voie de sa fortune.
    Peu capable de tout ce qui demande du courage, on le trouve rarement dans le crime, on le surprend souvent dans la friponnerie.
    Exclu de toutes les propriétés, de tous les honneurs, l’or fait sa passion unique.
    Barbare par défiance, il ruinerait la fortune, la réputation du plus honnête débiteur pour s’assurer une somme chétive.
    Sans autre ressource que la ruse, il se fait une étude & un mérite de l’art de tromper.
    L’usure, qui ouvre les mains de l’avarice même pour l’assouvir davantage, qui épie sans cesse la faiblesse, les passions, le malheur, pour leur porter ses secours perfides ; l’usure paraît avoir fait du juif, dans tous les temps, son agent fidèle.
    Voilà, je crois, tous les titres de proscription que la haine même, dans ses exagérations, pourrait rassembler contre les hommes que j’ose défendre. Mais enfin, dans ce tableau des vices des juifs, ne trouvons-nous rien qui nous accuse nous-même ? Les exemples en politique, comme dans les arts, font bien plus d’impression que les meilleurs principes. Je commencerai ici par offrir un fait bien énergique.
                    (La fin dans une prochaine feuille)
   

Le Publiciste du 14 novembre 1805

Fin de l’article sur l’adoucissement qu’il conviendrait d’apporter à l’état des Juifs en France.(Voyez les feuilles des 18 & 19 - (brumaire)

    Il y quelques années, dans une des principales villes de France, un juif fut surpris exerçant un métier interdit à sa nation. On lui en arrache les instruments & on le traîne devant le juge pour l’amande. « Ministre de la loi, dit-il, je n’ai rien à vous offrir que six enfants qui vont manquer de pain ; mais ne refusez pas une triste grâce à un malheureux . - Parlez, lui dit le magistrat. - Demain vous envoyez mon frère à un gibet pour un vol auquel le besoin l’a réduit ; faites-moi pendre avec mon frère afin qu’au moins je périsse avant de devenir coupable ». Ainsi il est possible que les mauvaises lois condamnent au crime qu’elles châtient.
    Mais j’entends déjà les réclamations du préjugé. N’allez pas chercher, me dit-on, la cause des vices de ce peuple hors de lui-même. Ils tiennent à son caractère & ils sont sans remèdes, comme ses mœurs sont invariables.
    Quand on veut faire du bien aux hommes, il ne faut pas commencer par en désespérer. Qu’on examine avec plus d’impartialité la conduite de ce peuple ; elle inspirera, j’en suis sûr, plus de pitié que d’indignation.
    Presque sans ressources dans la misère, sans considération dans la richesse, toujours tremblant que son joug ne s’appesantisse encore, ne recueillant partout que des affronts, des dédains, le juif se rebute & tombe du désespoir dans l’insensibilité. Honteux de lui-même & toujours ramené sur lui par ses dangers, par ses craintes, il s’avilit pour se conserver. Son industrie, qui s’accroît avec ses maux, devient enfin funeste à ses oppresseurs. Il les trompe avec avidité parce qu’il y est poussé par le besoin de sa subsistance; il les trompe avec joie parce que c’est le seul avantage qu’il obtient sur eux.
    Ne craignons pas de nous approprier une situation si désespérante; ne craignons pas de nous interroger nous-mêmes, & nous apprendrons du moins à devenir justes et indulgents. Qui saurait résister à cette épreuve ? Qui s’enflammerait pour l’honneur dans le sein de l’opprobre ? Qui deviendrait citoyen dans le sein de la tyrannie ? Qui connaîtrait les procédés nobles & généreux, tandis qu’il ne peut avoir pour récompense qu’une fortune souvent aussi pénible à conserver qu’à acquérir ?
    Je viens de monter les défauts trop réels de la nation juive. Mais ne peut-elle pas aussi offrir des qualités estimables ?
    On leur doit une des plus heureuses découvertes. Ces papiers qui, en circulant avec plus de rapidité & moins de risque, représentent les monnaies, signes de toutes choses ; cette ingénieuse invention qui a donné tant d’activité, de précision & de hardiesse au commerce moderne, a été un des prodiges de leur sagacité luttant contre l’oppression.
    Contents d’exister, satisfaits quand leur malheur n’augmente pas, ils n’ont jamais connu ce désir inquiet des nouveautés, principe des troubles & des révoltes. Au milieu des révolutions qui bouleversent les empires, regrettant les anciens maîtres, respectant les nouveaux, ils obéissent toujours.
    Artisans continuels de notre luxe, ils savent s’en garantir. Leurs mœurs sont simples & religieuses ; pauvres et retirés, ils trouvent souvent dans l’union touchante de leurs familles ce bonheur que leur état politique semblait leur dénier.
    Bienfaisants entre eux, rigides observateurs d’une loi à laquelle leur infortune les attache encore plus, ils s’aident dans toutes leurs peines ; ils se punissent dans toutes leurs fautes. Rebutés & insultés partout, ils n’opposent que la patience aux outrages. Si nous voulons connaître ce qu’ils pourraient devenir sous une administration plus humaine, consultons l’expérience des autres nations. Dans la Hollande, dans quelques parties de l’Italie & de l ‘Allemagne, dans l’Amérique septentrionale, partout dans les pays où le commerce les a un peu rapprochés de la condition ordinaire des hommes, ils sont plus honnêtes, plus fidèles dans leurs traités; sensible à l’honneur, il lui sacrifient quelquefois la fortune.
    Et nous-même, moins justes à l’égard de ce peuple, n’avons nous pas vu cependant, dans la capitale & dans différentes provinces, plusieurs juifs consacrer au service public des richesses pures dans leur source, forcer la prévention à l’estime, la haine au silence, & laisser une mémoire respectée ?
    Voilà des exemples qui nous invitent à des lois nouvelles, & qui nous en garantissent le succès.
    Essayons donc sur leurs cœurs le pouvoir des bienfaits. Cessons de demander des vertus à des hommes que nous avons dégradés. Acquérons, par notre clémence, le droit de les réprimer par notre sévérité, & sentons combien il serait doux de les arracher en même temps à leurs vices & à leur misère. Il faut bien que l’infortune devienne lâche, si vous la chargez d’opprobre; mais ranimez-la par des promesses consolantes, & il n’est rien de noble que vous n’en puissiez espérer. Ah! Peut-être ce peuple n’aurait besoin que des mouvements généreux de la reconnaissance, pour déraciner de son cœur ses vices antiques, qui tiennent tellement à ses disgrâces, que l’histoire ne les en a jamais séparés. Peuple trop éprouvé par notre injustice, & trop méconnu par nos préjugés, votre malheur vous absout aujourd’hui de tant d’accusations. Mais si vous trompiez dans leurs espérances des lois bienfaisantes, le malheur pour vous perdrait & son nom & ses droits. Ne me démentez pas, lorsque je promets à vos maîtres votre dévouement à l’honneur, pour le prix de leur commisération.

Au rédacteur du Publiciste

    Permettez, monsieur, que je relève une erreur de fait, échappée à l’auteur de votre dernier article sur les Juifs. L’auteur assure que cette question intéressante pour l’humanité, lorsqu’elle fut proposée pour prix par l’académie de Metz, en 1783, ne fut pas résolue, & qu’il n’y eut pas de prix adjugé. La vérité & la philanthropie n’eurent point ce reproche à faire au savoir & à l’éloquence. Le prix a été partagé entre trois auteurs, M. Zalkind Hurwitz, juif polonais, venu en France, & qui est encore à Paris; M. Thiery, avocat, connu aussi par les Mémoires de Latude; enfin M. l’abbé Grégoire, alors curé d’Embermeuil, maintenant membre du sénat & de l’institut, dont les discours & les écrits ont puissamment contribué à faire rétablir en France, en faveur de ces malheureux descendants de fugitifs & de proscrits, la justice & la politique. Du reste, je dois savoir gré à l’auteur de la lettre de ses sentiments & de ses principes, & d’avoir rappelé un morceau de littérature qui, sans être exempt d’erreurs, est digne de l’écrivain distingué dont il porte le nom.. Je pourrais rappeler d’autres apologies de la nation juive, par des juifs ou par des chrétiens; mais il ne m’appartient pas de traiter cette question, ni de citer ceux qui l’ont débattue.              
 B.

Note de l’auteur de l’article cité ci-dessus

    Je m’empresse de désavouer une fausse assertion sur le concours de l’académie de Metz. Je ne puis que m’étonner & regretter de n’avoir pas eu connaissance dans le temps des trois discours qui ont partagé le prix. Ce serait dans ces ouvrages même que j’aurais cherché quelques morceaux à offrir au public.

 


 

 

 

 

 


Remarques
: C'est surtout le Publiciste qui publie des articles sur le Juifs. La presse, sous l'Empire était étroirement surveillée. Dans chaque journal, il y avait un censeur rémunéré aux frais du journal, et quand une publication ne se montrait pas assez docile, elle était supprimée. C'est ce qui arrivera plus tard au Publiciste.
C'est pourtant M. Fouché, ministre de la police qui en avait nommé le rédacteur. Est-il osé d'affirmer que ces articles ont été écrits sur ordre ?
    Selon les souvenirs de M. de Barante, le Publiciste était dirigé par M. Suard, qui tenait un "salon". Mademoiselle de Meulan en était l'un des plus spirituel rédacteurs depuis Madame Guizot. Ce journal tempérait la rudesse de la Dépêche, organe des défenseurs (des philosophes) du XVIIIè siècle et l'ardeur du Journal des Débats, organe de la réaction.

    Quant au "Moniteur Universel", qui était une sorte de Journal officiel de l'époque,  je n'y ai vu, pour les années 1804-1805, le mot "juif" écrit qu'une fois, dans un article sur la Gallicie où il était spécifé que cette province comportait "689 987 familles  qui professaient le christianisme et 46 496 familles juives."


    Vous aurez remarqué que la relation des événements d'Alger diffère selon les journaux. Surtout avec la Gazette de France. Si on se fie à ce journal, le frère de Napoléon a réussi un exploit qui a rejailli tout naturellement sur l'Empereur. Quand on apprend que Napoléon a eu un entretien avec Naftalé Busnah, on peut supposer, même si cela a pris du temps, que ce dernier a été "prié" -certainement avec une certaine somme d'or - de remettre aux bons soins de M. Jérôme Bonaparte un certain nombre d'Italiens retenus comme esclave. Les Turcs, ne pouvant plus en faire commerce, auraient été rendus furieux; d'où l'assassinat de Naftalé Busnah et le pogrome d'Alger. L'Angleterre ayant un Consul à Alger, il serait intéressant de lire la presse anglaise de cette époque .... au cas où ce drame aurait été relaté. La vérité sur cette relation est d'autant plus douteuse que si le prétexte à l'invasion de l'Algérie en 1830 est le soufflet que reçu le consul de France Deval ... trois ans plus tôt, ce dernier menait alors des intrigues financières avec les argentiers du Dey: MM. Bacri et Busnah. En 1809, à Livourne, MM. David Busnah et Salomon Coen Bacri (nés à Alger, venus à Livourne vers 1795) étaient reconnus dans la nationalité française. Ils étaient les plus riches commerçants de la ville.

            Le Dictionnaire Universel d’Histoire et de Géographie, édité par la Librairie Hachette en 1867, ainsi que le Grand Dictionnaire Universel du XIX° siècle de Pierre Larousse (même année) confirment le succès de la mission confiée à Jérôme Bonaparte qui était allé réclamer au Dey d’Alger 250 Génois retenus en esclavage.