Bénit soit à jamais le seigneur dieu d’Israël, qui a placé sur le trône de France et du Royaume d’Italie un prince selon son cœur
    Dieu a vu l’abaissement des descendants de l’antique Jacob et il a choisi Napoléon Le Grand pour être l’instrument de sa miséricorde.
    Le seigneur juge les pensées, lui seul commande aux consciences, et son oint chéri a permis que chacun adorât le seigneur selon sa croyance et sa foi.
    A l’ombre de son nom, la sécurité est entrée dans nos cœurs et dans nos demeures, et nous pouvons désormais bâtir, ensemencer, moissonner, cultiver les sciences humaines, appartenir à la grande famille de l’État, le servir et nous glorifier de ses nobles destinées.
    Sa haute sagesse a permis que cette assemblée célèbre dans nos annales et dont l’expérience et la vertu dictaient leur décisions, reparût après quinze siècles et concourut à ses bienfaits sur Israël
    Réunis aujourd’hui sous la puissante protection dans sa bonne ville de Paris au nombre de soixante et onze Docteurs de la loi et notables d’Israël, nous nous constituons en grand Sanhédrin, afin de trouver en nous le moyen et la force de rendre des ordonnances religieuses conformes aux principes de nos lois et qui servent de règles et d’exemples à tous les Israélites
    Ces ordonnances apprendront aux nations que nos dogmes se concilient avec les lois civiles sous lesquelles nous vivons et nous séparent point de la société des hommes
    En conséquence déclarons
    Que la Loi Divine, ce pieux héritage de nos ancêtres contient des dispositions religieuses et des dispositions politiques.
    Que les dispositions religieuses sont par leur nature absolues et indépendantes des circonstances et des temps.
    Qu’il n’en n’est pas de même des dispositions politiques, c’est à dire de celles qui constituent le Gouvernement et qui étaient destinées à régir le peuple d’Israël dans la Palestine, lorsque les rois, ses pontifes et ses magistrats.
    Que ces dispositions politiques ne sauraient être applicables, depuis qu’il ne forme plus un corps de nation.
    Qu’en consacrant cette distinction déjà établie par la tradition, le grand Sanhédrin déclare un fait incontestable.
    Qu’une assemblée de docteurs de la Loi réunie en grand Sanhédrin pouvait seule déterminer les conséquences qui en dérivent.
    Que si les anciens Sanhédrin ne l’ont pas fait; c’est que les circonstances politiques ne l’exigeaient point et que depuis l’entière dispersion d’Israël aucun sanhédrin n’avait été réuni avant celui-ci
    Engagés dans ce pieux dessein, nous invoquons la lumières divines de laquelle émanent tous les bienfaits et nous nous reconnaissons obligés de concourir autant qu’il dépendra de nous à l’achèvement et à la régénération morale d’Israël.
    Ainsi en vertu du droit que nous confèrent nos usages et nos lois sacrées et qui déterminent que dans l’assemblée des docteurs du siècle réside essentiellement la faculté de statuer selon l’urgence de ce qui requiert l’observance des dites lois, soit écrites soit traditionnelles, nous procéderons dans l’objet de prescrire religieusement l’obéissance aux lois de État en matière civile et politique.
    Pénétré de cette sainte maxime que la crainte devient le principe de toute sagesse, nous élevons nos regards vers le ciel, nous étendons nos mains vers son sanctuaire et nous l’implorons pour qu’il daigne nous éclairer de sa lumière, nous diriger dans les sentiers de la vertu et de la vérité afin que nous puissions y conduire nos frères pour leur félicité et celle de leurs descendants.
    Partant nous enjoignons au nom du seigneur notre Dieu à tous nos coreligionnaires de tout sexe d’observer fidèlement nos déclarations, statuts et ordonnances, regardant d’avance tous ceux de France et d’Italie qui les violeront ou en négligeront l’observation comme pêchant notoirement contre la volonté du Seigneur Dieu d’Israël.

Article premier
Polygamie.

     Le grand Sanhédrin, légalement assemblé ce jour 9 février 1807, et en vertu des pouvoirs qui lui sont inhérents, examinant s'il est licite aux Hébreux d'épouser plus d'une femme, et pénétré du principe généralement consacré dans Israël, que la soumission aux lois de l'État, en matière civile et politique, est un devoir religieux;
    Reconnaît et déclare que la polygamie, permise par la loi de Moïse, n'est qu'une simple faculté; que nos docteurs l'ont subordonnée à la condition d'avoir une fortune suffisante pour subvenir aux besoins de plus d'une épouse;
    Que, dès les premiers temps de notre dispersion, les Israélites répandus dans l'Occident, pénétrés de la nécessité de mettre leurs usages en harmonie avec les lois civiles des États dans lesquels ils s'étaient établis, avaient généralement renoncé à la polygamie, comme à une pratique non conforme aux mœurs des nations;
    Que ce fut aussi pour rendre hommage à ce principe de conformité en matière civile, que le synode convoqué à Worms en l'an 4790 de notre ère, et présidé par le Rabbin Guerson [Gerchom ben Yehoudah], avait prononcé anathème contre tout Israélite de leur pays qui épouserait plus d'une femme;
    Que cet usage s'est entièrement perdu en France, en Italie, et dans presque tous les États du continent européen, où il est extrêmement rare de trouver un Israélite qui ose enfreindre les lois des nations contre la polygamie.
    En conséquence, le grand Sanhédrin, pesant dans sa sagesse combien il importe de maintenir l'usage adopté par les Israélites répandus dans l'Europe, et pour confirmer, en tant que besoin, ladite décision du synode de Worms, statue et ordonne, comme précepte religieux,
    Qu'il est défendu à tous les Israélites de tous les États où la polygamie est prohibée par les lois civiles, et en particulier à ceux de l'Empire de France et du royaume d'Italie, d'épouser une seconde femme du vivant de la première, à moins qu'un divorce avec celle-ci, prononcé conformément aux dispositions du Code civil, et suivi du divorce religieux, ne les ait affranchis des liens du manage.

Article 2.
Répudiation.

     Le grand Sanhédrin ayant considéré combien il importe aujourd'hui d'établir des rapports d'harmonie entre les usages des Hébreux relativement au mariage, et le Code civil de France et du royaume d'Italie sur le même sujet, et considérant qu'il est de principe religieux de se soumettre aux lois civiles de l'État, reconnaît et déclare,
    Que la répudiation, permise par la loi de Moïse, n'est valable qu'autant qu'elle opère la dissolution absolue de tous les liens entre les conjoints, même sous le rapport civil;
    Que, d'après les dispositions du Code civil, qui régit les Israélites comme Français et Italiens, le divorce n'étant consommé qu'après que les tribunaux l'ont ainsi décidé par un jugement définitif, il suit que la répudiation mosaïque n'aurait pas le plein et entier effet qu'elle doit avoir, puisque l'un des conjoints pourrait se prévaloir contre l'autre, du défaut de l'intervention de l'autorité civile dans la dissolution du lien conjugal.
    C'est pourquoi, en vertu du pouvoir dont il est revêtu, le grand Sanhédrin statue et ordonne, comme point religieux,
    Que dorénavant nulle répudiation ou divorce ne pourra être fait selon les formes établies par la loi de Moïse, qu'après que le mariage aura été déclaré dissous par les tribunaux compétents, et selon les formes voulues par le Code civil.
    En conséquence, il est expressément défendu à tout Rabbin, dans les deux États de France et du royaume d'Italie, et dans tous autres lieux, de prêter son ministère dans aucun acte de répudiation ou de divorce, sans que le jugement civil qui le prononce, lui ait été exhibé en bonne forme, déclarant que tout Rabbin qui se permettrait d'enfreindre le présent statut religieux, sera regardé comme indigne d'en exercer à l'avenir les fonctions.

Article 3.
Mariage.

     Le grand Sanhédrin, considérant que, dans l'Empire français et le royaume d'Italie, aucun mariage n'est valable qu'autant qu'il est précédé d'un contrat civil devant l'officier public;
    En vertu du pouvoir qui lui est dévolu, statue et ordonne,
    Qu'il est d'obligation religieuse pour tout Israélite français et du royaume d'Italie, de regarder désormais, dans les deux États, les mariages civilement contractés comme emportant obligation civile; défend en conséquence à tout Rabbin, ou autre personne dans les deux États, de prêter leur ministère à l'acte religieux du mariage, sans qu'il leur ait apparu auparavant de l'acte des conjoints devant l'officier civil, conformément à la loi.
    Le grand Sanhédrin déclare, en outre, que les mariages entre Israélites et Chrétiens, contractés conformément aux lois du Code civil, sont obligatoires et valables civilement, et que, bien qu'ils ne soient susceptibles d'être revêtus des formes religieuses, ils n'entraîneront aucun anathème.

Article 4.
Fraternité.

     Le grand Sanhédrin, ayant considéré que l'opinion des nations parmi lesquelles les Israélites ont fixé leur résidence depuis plusieurs générations, les laissait dans le doute sur les sentiments de fraternité et de sociabilité qui les animent à leur égard, de telle sorte que, ni en France, ni dans le royaume d'Italie, l'on ne paraissait point fixé sur la question de savoir si les Israélites de ces deux États regardaient leurs concitoyens chrétiens comme frères, ou seulement comme étrangers;
    Afin de dissiper tous les doutes à ce sujet, le grand Sanhédrin déclare,
    Qu'en vertu de la loi donnée par Moïse aux enfants d'Israël, ceux-ci sont obligés de regarder comme leurs frères les individus des nations qui reconnaissent Dieu créateur du ciel et de la terre, et parmi lesquelles ils jouissent des avantages de la société civile, ou seulement d'une bienveillante hospitalité;
    Que la sainte Écriture nous ordonne d'aimer notre semblable comme nous-mêmes, et que, reconnaissant comme conforme à la volonté de Dieu, qui est la justice même, de ne faire à autrui que ce qui nous voudrions qui nous fût fait, il serait contraire à ces maximes sacrées de ne point regarder nos concitoyens, Français et Italiens, comme nos frères;
    Que d'après cette doctrine universellement reçue, et par les docteurs qui ont le plus d'autorité dans Israël, et par tout Israélite qui n'ignore point sa religion, il est du devoir de tous, d'aider, de protéger, d'aimer leurs concitoyens, et de les traiter, sous tous les rapports civils et moraux, à l'égal de leurs coreligionnaires ;
    Que, puisque la religion mosaïque ordonne aux Israélites d'accueillir avec tant de charité et d'égards les étrangers qui allaient résider dans leurs villes, à plus forte raison leur commande-t-elle les mêmes sentiments envers les individus des nations qui les ont accueillis dans leur sein, qui les protègent par leurs lois, les défendent par leurs armes, leur permettent d'adorer l'Éternel selon leur culte, et les admettent, comme en France et dans le royaume d'Italie, à la participation de tous les droits civils et politiques;
    D'après ces diverses considérations, le grand Sanhédrin ordonne à tout Israélite de l'Empire français, du royaume d'Italie, et de tous autres lieux; de vivre avec les sujets de chacun des États dans lesquels ils habitent, comme avec leurs concitoyens et leurs frères, puisqu'ils reconnaissent Dieu Créateur du ciel et de la terre, parce qu'ainsi le veut la lettre et l'esprit de notre sainte loi.

Article 5.
Rapports moraux.

    Le grand Sanhédrin, voulant déterminer quels sont les rapports que la loi de Moïse prescrit aux Hébreux envers les individus des nations parmi lesquelles ils habitent, et qui, professant une autre religion, reconnaissent Dieu créateur du ciel et de la terre,
    Déclare que tout individu professant la religion de Moïse, qui ne pratique point la justice et la charité envers tous les hommes adorant l'Éternel, indépendamment de leur croyance particulière, pêche notoirement contre sa loi;
    Qu'à l'égard de la justice, tout ce que prohibe l'Écriture sainte comme lui étant contraire, est absolu et sans acception de personnes;
    Que le Décalogue et les livres sacrés qui renferment les commandements de Dieu à cet égard, n'établissent aucune relation particulière, et n'indiquent ni qualité, ni condition, ni religion, auxquelles ils s'appliquent exclusivement, en sorte qu'ils sont communs aux rapports des Hébreux avec tous les hommes en général, et que tout Israélite qui les enfreint envers qui que ce soit, est également criminel et répréhensible aux yeux du Seigneur;
    Que cette doctrine est aussi enseignée par les docteurs de la loi, qui ne cessent de prêcher l'amour du Créateur et de sa créature (Traité Abbot VI, f 6), et qui déclarent formellement que les récompenses de la vie éternelle sont réservées aux hommes vertueux de toutes les nations; que l'on trouve dans les prophètes des preuves multipliées qui établissent qu'Israël n'est pas l'ennemi de ceux qui professent une autre religion que la sienne; qu'à l'égard de la charité, Moïse, comme il a déjà été rapporté, la prescrit au nom de Dieu comme une obligation: "Aime ton prochain comme toi-même, car je suis le Seigneur... L'étranger qui habite dans votre sein, sera comme celui qui est né parmi vous: vous l'aimerez comme vous-mêmes, car vous avez été aussi étrangers en Égypte. Je suis l'Éternel votre Dieu" (Lévitique XIX, 34). David dit: "La miséricorde de Dieu s'étend sur toutes ses œuvres" (Psaumes CXL V, 9). "Qu'exige de vous le Seigneur ?" dit Michée: rien de plus que d'être juste, et d'exercer la charité" (VI, 8). "Nos docteurs déclarent que l'homme compatissant aux maux de son semblable, est à nos yeux comme s'il était issu du sang d'Abraham" (Hirubin VII) ; Que tout Israélite est obligé envers ceux qui observent les Noahi), quelle que soit d'ailleurs leur religion, de les aimer comme ses frères, de visiter leurs malades, d'enterrer leurs morts, d'assister leurs pauvres comme ceux d'Israël, et qu'il n'y a point d'acte de charité ni d'œuvre de miséricorde dont il puisse se dispenser envers eux:
    D'après ces motifs, puisés dans la lettre et l'esprit de l'Écriture sainte, Le grand Sanhédrin prescrit à tous les Israélites, comme devoirs essentiellement religieux et inhérents à leur croyance, la pratique habituelle et constante, envers tous les hommes reconnaissant Dieu créateur du ciel et de la terre, quelque religion qu'ils professent, des actes de justice et de charité dont les livres saints leur prescrivent l'accomplissement.

Article 6.
Rapports civils et politiques.

    Le grand Sanhédrin, pénétré de l'utilité qui doit résulter pour les Israélites d'une déclaration authentique qui fixe et détermine leurs obligations comme membres de l'État auquel ils appartiennent, et voulant que nul n'ignore quels sont à cet égard les principes que les docteurs de la loi et les notables d'Israël professent et prescrivent à leurs coreligionnaires dans les pays où ils ne sont point exclus de tous les avantages de la société civile, spécialement en France et dans le royaume d'Italie,
    Déclare qu'il est de devoir religieux pour tout Israélite né et élevé dans un État, ou qui en devient citoyen par résidence ou autrement, conformément aux lois qui en déterminent les conditions, de regarder ledit État comme sa patrie;
    Que ces devoirs, qui dérivent de la nature des choses, qui sont conformes à la destination des hommes en société, s'accordent par cela même avec la parole de Dieu.
    Daniel dit à Darius, "qu'il n'a été sauvé de la fureur des lions, que pour avoir été également fidèle à son Dieu et à son roi" (VI, 23).
    Jérémie recommande à tous les Hébreux de regarder Babylone comme leur patrie: "concourez de tout votre pouvoir, dit-il, à son bonheur" (Jérémie V). On lit dans le même livre le serment que fit prêter Guedalya aux Israélites: "Ne craignez point, leur dit-il, de servir les Chaldéens; demeurez dans le pays; soyez fidèles au roi de Babylone, et vous vivrez heureusement'" (Ibid XI, 9).
    "Crains Dieu et ton souverain'" a dit Salomon. (Proverbes XXIV, 21).
     Qu'ainsi tout prescrit à l'Israélite d'avoir pour son prince et ses lois le respect, l'attachement et la fidélité dont tous ses sujets lui doivent le tribut;
    Que tout l'oblige à ne point isoler son intérêt de l'intérêt public, ni sa destinée, non plus que celle de sa famille, de la destinée de la grande famille de l'État; qu'il doit s'affliger de ses revers, s'applaudir de ses triomphes, et concourir par toutes ses facultés au bonheur de ses concitoyens:
    En conséquence, le grand Sanhédrin statue que tout Israélite né et élevé en France et dans le royaume d'Italie, et traité par les lois des deux États comme
citoyen, est obligé religieusement de les regarder comme sa patrie, de les servir, de les défendre, d'obéir aux lois, et de se conformer, dans toutes ses transactions, aux dispositions du Code civil.
    Déclare en outre, le grand Sanhédrin, que tout Israélite appelé au service militaire est dispensé par la loi, pendant la durée de ce service, de toutes les observances religieuses qui ne peuvent se concilier avec lui.

Article 7.
Professions utiles.

      Le grand Sanhédrin, voulant éclairer les Israélites, et en particulier ceux de France et du royaume d'Italie, sur la nécessité où ils sont, et les avantages qui résulteront pour eux de s'adonner à l'agriculture, de posséder des propriétés foncières, d'exercer les arts et métiers, de cultiver les sciences qui permettent d'embrasser des professions libérales; et considérant que si, depuis longtemps, les Israélites des deux États se sont vus dans la nécessité de renoncer en partie aux travaux mécaniques, et principalement à la culture des terres, qui avait été, dans l'ancien temps, leur occupation favorite, il ne faut attribuer ce funeste abandon qu'aux vicissitudes de leur état, à l'incertitude où ils avaient été, soit à l'égard de leur sûreté personnelle, soit à l'égard de leurs propriétés, ainsi qu'aux obstacles de tout genre que les règlements et les lois des nations opposaient au libre développement de leur industrie et de leur activité;
    Que cet abandon n'est aucunement le résultat des principes de leur religion, ni des interprétations qu'en ont pu donner leurs docteurs, tant anciens que modernes, mais bien un effet malheureux des habitudes que la privation du libre exercice de leurs facultés industrielles leur avait fait contracter;
    Qu'il résulte, au contraire, de la lettre et de l'esprit de la législation mosaïque, que les travaux corporels étaient en honneur parmi les enfants d'Israël, et qu'il n'est aucun art mécanique qui leur soit nominativement interdit, puisque la sainte Écriture les invite et leur commande de s'y livrer;
    Que cette vérité est démontrée par l'ensemble des lois de Moïse et de plusieurs textes particuliers, tels, entre autres, que ceux-ci:
    Psaumes CXXVII. "Lorsque tu jouiras du labeur de tes mains, tu seras bienheureux, et tu auras l'abondance ;"
    Proverbes XXVIII et XXIX. "Celui qui laboure ses terres aura l'abondance, mais celui qui vit de l'oisiveté est dans la disette ;"
    Ibid XXIV et XXVII. "Laboure diligemment ton champ, et tu pourras après édifier ton manoir ;"
    Michnah, Traité Abbot I. "Aime le travail, et fuis la paresse ;"
    Qu'il suit évidemment de ces textes, non seulement qu'il n'est point de métier honnête interdit aux Israélites; mais que la religion attache du mérite à leur exercice, et qu'il est agréable aux yeux du Très-Haut que chacun s'y livre, et en fasse, autant qu'il dépend de lui, l'objet de ses occupations;
    Que cette doctrine est confirmée par le Talmud, qui, regardant l'oisiveté comme la source des vices, déclare positivement que le père qui n'enseigne pas une profession à son enfant, l'élève pour la vie des brigands (Kidouchin 1) :
    En conséquence, le grand Sanhédrin, en vertu des pouvoirs dont il est revêtu, Ordonne à tous les Israélites, et en particulier à ceux de France et du
royaume d'Italie, qui jouissent maintenant des droits civils et politiques, de rechercher et d'adopter les moyens les plus propres à inspirer à la jeunesse l'amour du travail, et à la diriger vers l'exercice des arts et métiers, ainsi que des professions libérales, attendu que ce louable exercice est conforme à notre sainte religion, favorable aux bonnes mœurs, essentiellement utile à la patrie, qui ne saurait voir dans des hommes désoeuvrés et sans état que de dangereux citoyens.
    Invite en outre, le grand Sanhédrin, les Israélites des deux États de France et d'Italie, d'acquérir des propriétés foncières, comme un moyen de s'attacher davantage à leur patrie, de renoncer à des occupations qui rendent les hommes odieux ou méprisables aux yeux de leurs concitoyens, et de faire tout ce qui dépendra de nous pour acquérir leur estime et leur bienveillance.

Article 8.
Prêt entre Israélites.

      Le grand Sanhédrin, pénétré des inconvénients attachés aux interprétations erronées qui ont été données au verset 19 du chapitre XXIII du Deutéronome et autres de l'Écriture sainte sur le même sujet, et voulant dissiper les doutes que ces interprétations ont fait naître et n'ont que trop accréditées sur la pureté de notre morale religieuse, relativement au prêt,
    Déclare que le mot hébreu nechech que l'on a traduit par celui d'usure, a été mal interprété; qu'il n'exprime, dans la langue hébraïque, qu'un intérêt quelconque, et non un intérêt usuraire; que nous ne pouvons entendre par l'expression française d'usure qu'un intérêt au-dessus de l'intérêt légal, là où la loi a fixé un taux à ce dernier; que de cela seul que la loi de Moïse n'a point fixé ce taux, l'on ne peut pas dire que le mot hébreu nechech signifie un intérêt illégitime; qu'ainsi, pour qu'il y eût lieu de croire que ce mot eût la même acception que celui d'usure, il faudrait qu'il en existât un autre qui signifiât intérêt légal que ce mot n'existant pas, il suit nécessairement que l'expression hébraïque nechech ne peut point signifier usure;
    Que le but de la loi divine, en défendant à un Hébreu le prêt à intérêt envers un autre Hébreu, étant de resserrer entre eux les liens de la fraternité, de leur prescrire une bienveillance réciproque, et de les engager à s'aider les uns les autres avec désintéressement;
    Qu'ainsi il ne faut considérer la défense du législateur divin que comme un précepte de bienfaisance et de charité fraternelle;
    Que la loi divine et ses interprètes ont permis ou défendu l'intérêt, selon les divers usages que l'on fait de l'argent. Est-ce pour soutenir une famille? L'intérêt est défendu. Est-ce pour entreprendre une spéculation de commerce qui fait courir un risque aux capitaux du prêteur? L'intérêt est permis quand il est légal, et qu'on peut le regarder comme un juste dédommagement. Prête au pauvre, dit Moïse; ici le tribut de la reconnaissance, l'idée d'être agréable aux yeux de l'Éternel, est le seul intérêt; le salaire du service rendu est dans la satisfaction que donne la conscience d'une bonne action: qu'il n'en est pas de même de celui qui emploie des capitaux dans l'exploitation de son commerce; là, il est permis au prêteur de s'associer au profit de l'emprunteur:
    En conséquence, le grand Sanhédrin déclare, statue et ordonne, comme devoir religieux, à tous Israélites, et particulièrement à ceux de France et du royaume d'Italie, de n'exiger aucun intérêt de leurs coreligionnaires, toutes les fois qu'il s'agira d'aider le père de famille dans le besoin, par un prêt officieux;
    Statue, en outre, que le profit légitime du prêt entre coreligionnaires n'est religieusement permis que dans le cas de spéculations commerciales qui font courir un risque au prêteur, ou en cas de lucre cessant, selon le taux fixé par la loi de l'État
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Article 9.
Prêt entre Israélite et non Israélite.

   Le grand Sanhédrin, voulant dissiper l'erreur qui attribue aux Israélites la faculté de faire l'usure avec ceux qui ne sont pas de leur religion, comme leur étant laissée par cette religion même, et confirmée par leurs docteurs talmudistes ;
    Considérant que cette imputation a été, dans différents temps et dans différents pays, l'une des causes des préventions qui se sont élevées contre eux, et voulant faire cesser dorénavant tout faux jugement à cet égard, en fixant le sens du texte sacré sur cette matière;
    Déclare que le texte qui autorise le prêt à intérêt avec l'étranger, ne peut et ne doit s'entendre que des nations étrangères avec lesquelles on faisait le commerce, et qui prêtaient elles-mêmes aux Israélites, cette faculté étant basée sur un principe naturel de réciprocité;
    Que le mot nochri ne s'applique qu'aux individus des nations étrangers, et non à des concitoyens que nous regardons comme nos frères;
    Que même, à l'égard des nations étrangères, l'Écriture sainte, en permettant de prendre d'elles un intérêt, n'entend point parler d'un profit excessif et ruineux pour celui qui le paye, puisqu'elle nous déclare ailleurs que toute iniquité est abominable aux yeux du Seigneur:
    En conséquence de ces principes, le grand Sanhédrin, en vertu du pouvoir dont il est revêtu, et afin qu'aucun Hébreu ne puisse à l'avenir alléguer l'ignorance de ses devoirs religieux en matière de prêt à intérêt envers ses compatriotes, sans distinction de religion,
    Déclare à tous Israélites, et particulièrement à ceux de France et du royaume d'Italie, que les dispositions prescrites par la décision précédente sur le prêt officieux ou à intérêts d'Hébreu à Hébreu, ainsi que les principes et les préceptes rappelés par le texte de l'Écriture sainte sur cette matière, s'étendent tant à nos compatriotes, sans distinction de religion, qu'à nos coreligionnaires ;
    Ordonne à tous, comme précepte religieux, et en particulier à ceux de France et du royaume d'Italie, de ne faire aucune distinction à l'avenir, en matière de prêt, entre concitoyens et coreligionnaires, le tout conformément au statut précédent;
    Déclare, en outre, que quiconque transgressera la présente ordonnance, viole un devoir religieux, et pêche notoirement contre la loi de Dieu;
    Déclare enfin que toute usure est indistinctement défendue, non seulement d'Hébreu à Hébreu, et d'Hébreu à concitoyen d'une autre religion, mais encore avec les étrangers de toutes les nations, regardant cette pratique comme une iniquité abominable aux yeux du Seigneur.
    Ordonne également, le grand Sanhédrin, à tous les Rabbins, dans leurs prédications et leurs instructions, de ne rien négliger auprès de leurs coreligionnaires pour accréditer dans leur esprit les maximes contenues dans la présente décision.




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Source: Centre Historique des Archives Nationales F/19/11004 et 11005