Un décret du 17 mars 1808 usurpant à la fois l'autorité judiciaire et l'autorité législative , et les usurpant pour en faire l'abus le plus révoltant, prononça la ruine d'une grande partie des Israélites de France, en plaça un plus grand nombre, pour dix ans, hors du droit commun , et les replongea ainsi dans l'état d'abaissement et de proscription dont le progrès des lumières les avait fait affranchir dans les dernières années du siècle qui vient de s'écouler.
    Lorsque Votre Majesté est venue. relever et consacrer à jamais dans la charte les principes constitutionnels si souvent foulés aux pieds par les précédents gouvernements les malheureuses victimes de cet acte arbitraire auraient pu sans doute réclamer avec succès contre la mesure oppressive qui les avait dépouillés des droits les plus sacrés au mépris des garanties les plus solennelles. Mais parmi les maux. qui naissaient pour eux du décret impérial , les uns étaient irrémédiables ; les autres touchaient à leur terme. Les Israélites, dont la patience et la résignation furent toujours si remarquables, ne crurent pas, dans de telles circonstances, devoir accélérer, par leurs réclamations , un bienfait qui, sous le règne des lois, ne pouvait tromper leur attente, et qu'un temps bien court allait leur faire obtenir.

    Le dernier jour des dix ans approchait, et tout semblait leur annoncer qu'aucune voix ne s'élèverait pour leur contester ce nouvel affranchissement , lorsqu'une pétition a été présentée aux deux Chambres pour demander que les dispositions du décret impérial contre les Juifs fussent prorogées.
    Cette pétition , signée par un seul individu (1) , qui ne cite pas un seul fait à l'appui de ses allégations, dont le signataire est domicilié dans un département où il n'y a pas un seul Juif , où, par conséquent , ses yeux n'ont pu être frappés des abus qu'il dénonce, semblait peu faite pour être prise en considération.
    La Chambre des Pairs a passé à l'ordre du jour (2).
    Mais celle des Députés a ordonné le renvoi à leurs Excellences les Ministres de l'Intérieur et de la Justice (3).
    Les soussignés sont loin d'en concevoir quelque alarme. Les lumières et les vertus qui brillent sur le trône , la sagesse et le patriotisme des Chambres, leur sont un sûr garant que la loi ne viendra point consacrer aujourd'hui un des actes les plus odieux du despotisme, une véritable monstruosité dans l'ordre de choses établi en France, une mesure que repoussaient à la fois les conseils d'une sage politique et le vœu de l'humanité. Toutefois l'infortune rend les hommes timides; et ceux des Israélites qui ont eu le malheur d'être frappés, pendant dix ans, d'une proscription aussi injuste qu'imprévue paraîtront excusables, peut-être, de n'avoir pas appris, sans quelque effroi, la mesure adoptée par la Chambre des Députés. Convaincus néanmoins que leurs intérêts n'ont à courir aucun danger, à moins que la vérité soit méconnue, ou que l'on se fasse une fausse idée de la situation des choses et des effets que le décret impérial a dû produire , ils ont invité le Consistoire central à mettre sous les veux de Votre Majesté tout ce qui peu servir à fixer l'état de la question et à éclairer la discussion à laquelle elle pourrait donner lieu.
Cet exposé devient pour nous un devoir que nous nous empressons de remplir.

    Votre Majesté sait dans quel état de flétrissure et d'oppression les Juifs ont, presque partout, été maintenus en France jusqu'à la fin du dix-huitième siècle. On croyait alors que les meures prises contre eux étaient justifiées par les torts qu'on leur imputait. Cependant les esprits sages s'étaient depuis long-temps aperçus que cette rigueur, loin d'arrêter des maux déplorables, ne pouvait que les faire naître, les aggraver et les éterniser; que la corruption qu'on reprochait aux Israélites, leurs dispositions à l'usure et a un vil trafic ne s'expliquaient que trop bien par l'abaissement dans lequel ils étaient plongés, par l'impossibilité d'atteindre à aucune profession libérale, par la défense qui leur était faite en divers lieux d'acquérir des propriétés foncières; en un mot, par la nécessité où on les avait mis de chercher dans les plus viles occupations de quoi fournir aux impôts énormes dont ils étaient accablés , et aux besoins d'une existence précaire. Mais la prévention que la différence des cultes avait excitée, et qu'elle nourrissait contre cette malheureuse classe de citoyens, était tellement forte, que peut-être ne fallait-il rien moins, pour le vaincre, que le concours de grandes vertus sur le trône et de si grands événements politiques dans l'État.

    C'est sous le règne de votre auguste frère, Sire, que les Juifs disséminés sur la France, ont vu luire pour eux l'aurore d'un meilleur avenir. Leur cœur a recueilli , avec une vive et respectueuse reconnaissance , ces paroles mémorables d'un roi qui trouvait dans son cœur toutes les pensées justes et généreuses : il les adressait à M. Malesherbes, au moment où ce digue ministre venait de lui faire signer l'édit en faveur des non-catholiques.
    «M. de Malesherbes, vous vous êtes fait protestant, et moi je vous fais juif: occupez-vous du sort de cette malheureuse nation.» Le vertueux ami de Louis XVI se livrait avec ardeur aux travaux qu'exigeait l'exécution de cet ordre lorsque la révolution éclata.
    Ces travaux suspendus un moment furent bientôt repris, et le 27 septembre 1791, la pensée bienfaisante du Roi fut convertie en un décret sanctionné le 3 novembre suivant, et qui appela les Juifs à exercer les droits et a remplir les devoirs de tous les citoyens français.
    A cette époque, une ère nouvelle a commencé pour eux. Appelée à faire partie de la grande famille, ils ont cherché à se rendre digne de cet avantage en se jetant dans toutes les carrières ouvertes aux autres citoyens. On les a vus tour-à-tour s'empresser, les uns pour devenir propriétaires , les antres pour établir des manufactures et des maisons de commerce : ceux-ci , se sont livrés à l'exercice des métiers ; ceux-là, à la culture des beaux-arts. C'est surtout dans l'éducation donnée à leurs enfants qu'on a dû reconnaître avec satisfaction un changement remarquable, et l'un a pu voir que les jeunes Israélites ont fait leur devoir sons les drapeaux français , comme dans toutes les fonctions où là confiance publique les a appelés (4)
    Si l'amélioration qui devait nécessairement résulter de ce nouvel ordre de choses n'a pas été aussi rapide et aussi complète sur quelques points du royaume que le gouvernement aurait pu le désirer , si elle a laissé encore, pour les Juifs eux-mêmes, quelques vœux a remplir, les hommes sages et impartiaux ont reconnu qu'il fallait en accuser cet empire des longues habitudes que le temps et l'exemple peuvent seuls déraciner, et peut-être encore la protection de la loi, qui, subjuguée quelquefois par un reste de prévention, n'a pas toujours été aussi parfaite, aussi égale qu'elle avait été promise.
    Le gouvernement de 1806, habitué à ne pas attendre du temps, mais de la force seule, les effets que sa politique cherchait à produire, s'indigna que quatorze ans, écoulés au milieu des orages de la révolution, n'eussent pas entièrement effacé dans une grande population les traces de tant de siècles d'humiliation et d'esclavage.
    Irrité de quelques plaintes portées contre les juifs par leurs débiteurs, et des moyens employés par quelques-uns d'entr'eux , comme par tant d'autres, pour se soustraire au service militaire, il lança le décret du 30 mai 1806.
    La première disposition de ce décret portait qu'il serait sursis pendant un an « à toute exécution de jugements ou contrats, autrement que pour simples actes conservatoires, contre des cultivateurs non négociants des départements de la Sarre, de la Roere, du Mont-Tonerre, du Haut et Bas-Rhin , du Rhin-et-Moselle, de la Moselle et des Vosges lorsque les titres contre ces cultivateurs auraient été souscrits par eux en faveur des Juifs.»

    La seconde ordonnait «la réunion à Paris d'une assemblée de notables juifs dont l'objet était, disait-on, d'exprimer leur vœu sur les moyens les plus expédients pour rappeler parmi leurs frères l'exercice des arts et des professions utiles, et pour remplacer par une industrie honnête les ressources honteuses auxquelles beaucoup d'entr'enx se livraient de père en fils ».
    Cette assemblée eut lieu ; elle donna, sur les questions qui lui furent proposées, des solutions dont le gouvernement parut être satisfait. Il désira seulement, pour leur donner une plus grande autorité, que ces solutions fussent consacrées par un grand Sanhédrin qu'il convoqua à cet effet.
    L'objet de la convocation fut ainsi annoncé
    «Ce corps (le grand Sanhédrin), tombé avec le Temple, va reparaître pour éclairer partout le monde le peuple qu'il instruisait; il va le rappeler au véritable esprit de la loi , et lui donner une explication digne de faire disparaître toutes les interprétations mensongères ".
    Au mois de mars 1817 , le grand Sanhédrin publia une série de décisions bien capables est effet de dissiper et les erreurs que la prévention avait semées dans le monde, et celles que l'ignorance et l'habitude avaient pu accréditer sur quelques principes de la religion des Israélite , dans leurs rapports sociaux et politiques.
    Les principales de ces décisions ont appris à ceux qui l'ignoraient la loi de Moïse faisait un devoir aux Juifs :
    De pratiquer la justice et la charité envers tons les hommes adorant l'Éternel, indépendamment de leur croyance particulière ;
    De regarder comme leur patrie tout État dans lequel ils sont nés ou dont ils deviennent citoyens, et d'y remplir tous les devoirs auxquels les citoyens sont soumis.
    Elles leur ont appris que si les Juifs ont pendant long-temps renoncé à l'agriculture, aux professions libérales, aux arts mécaniques, cet abandon n'était nullement le résultat des principes de leur religion, ni des interprétations qu'en ont pu donner leurs docteurs, tant anciens que modernes, mais bien un effet malheureux de l'habitude que la privation de leurs facultés leur avait fait contracter.
    Enfin, qu'il n'est pas vrai que la loi de Moïse ait permis l'usure aux Hébreux envers ceux qui ne sont pas de leur religion; qu'il en résulte, au contraire, qu'ils ne doivent faire à cet égard aucune distinction entre leurs coreligionnaires et leurs autres concitoyens, quelque religion qu'ils professent.
    Le grand Sanhédrin finissait par commander à tous les Juifs établis en France, au nom de leur religion , de servir l'État, de le défendre, et d'obéir à toutes ses lois. Il leur ordonnait de rechercher et d'adopter les moyens les plus propres à inspirer à la jeunesse l'amour du travail, et à la diriger vers l'exercice des arts et métiers ainsi que des professions libérales, attendu que ce louable exercice est conforme à notre sainte religion, favorable aux bonnes mœurs, essentiellement utile à la patrie, qui ne saurait voir dans des hommes désœuvrés et sans état que de dangereux citoyens.
    II les invitait, en outre, à acquérir des propriétés foncières, comme un moyen de s'attacher davantage à leur patrie , et de renoncer à des occupations qui rendent les hommes odieux et méprisables aux yeux de leurs concitoyens.
    Le gouvernement accueillit d'abord ces décisions solennelles, ces grandes déclarations de principes, et les regarda avec raison comme le moyen le plus efficace de remplir ses vues; mais il ne daigna pas attendre l'effet qu'elles pouvaient produire, et quelques mois à peine s'étaient écoulés depuis leur publication, lorsque le décret impérial du 17 mars 1808 éclata comme la foudre au milieu des Israélites.
    Les dispositions du 1er. titre déclarent leurs créances nulles de plein droit, en certains cas, sans qu'il leur soit permis de se prévaloir de leurs titres; cette proscription atteint également leurs cessionnaires (art. 3).
    Dans d'autres cas, ils seront soumis, malgré leurs titres, à prouver que la saleur exprimée dans l'obligation a été réellement fournie ( art. 4 ).
    Là où la preuve de la réelle numération sera acquise, la créance sera réduite , si les intérêts excèdent cinq pour cent; s'ils excèdent dix pour cent, elle sera annulée (art. 5).
    Le titre second défend aux Juifs de se livrer à aucun commerce, négoce ou trafic quelconque, si ce n'est sous le bon plaisir du préfet du département, du conseil municipal et du procureur général près la cour royale (art. 8 et 9 )
    Il déclare nul et de nul effet tout acte de commerce fait par un Juif non patenté , ainsi que les hypothèques prises à sa requête (art. 10 et 11 ).
    Il soumet les créances étrangères au commerce à une révision qui peut amener leur annulation si le taux de l'intérêt excède dix pour cent (art. 12).
    Les Juifs seront tenus de faire preuve de la réelle numération toutes les fois que la dette aura été consentie par un non commerçant. (art. 14)
    Enfin le titre 5 défend à tout Juif de s'établir dans les départements du Haut et Bas-Rhin.
    Il ne permet à aucun Juif non actuellement domicilié de venir s'établir dans les autres départements qu'à condition d'y acquérir une propriété rurale et ne ne s'y mêler d'aucun commerce (art. 16).
    Il prive la population juive du droit accordé à tous les citoyens de fournir des remplaçants pour la conscription (art. 17)
    Le décret excepte de ces dispositions les Juifs établis dans les départements de la Gironde et des Landes ,et se termine par un article ainsi conçu
    " Les dispositions du présent décret auront leur exécution pendant dix ans , espérant qu'à l'expiration de ce délai et par l'effet des diverses mesures prises à l'égard des Juif, il n'y aura plus aucune différence enter eux et les autres citoyens de notre empire , sauf néanmoins, si notre espérance était trompée, à en proroger l'exécution pour tel temps qui sera jugé convenable ».
    Qui nous dira par quel étrange raisonnement, dans l'objet d'effacer les différences qui pouvaient exister encore entre les Juifs et les autres citoyens de l'empire, se déterminait à rétablir entre eux une ligne de démarcation ? Comment , pour leur inspirer des sentiments de probité et de délicatesse, on les flétrissait à leurs propres yeux et aux yeux de leurs concitoyens; comment, pour les dégoûter d'un trafic illicite, on leur ôtait la liberté de se livrer à un trafic honnête ; comment on les dépouillait en un jour de toute leur fortune au profit de leurs débiteurs chrétiens non commerçants, dans l'objet de leur ôter l'envie de s'avantager aux dépens de ceux-ci; comment enfin une population entière était ruinée, avilie et mise hors de la protection des lois, pour punir quelques usuriers dont elle-même condamnait hautement la conduite ?
    Si ce n'était pas assez que de jeter les yeux sur ce décret pour se convaincre qu'il fut le fruit de l'irréflexion, du caprice et de la colère, il suffirait, pour avoir cette conviction, de le comparer avec le décret du 30 mai 1806. Celui-ci désignait une foule de départements, où aucune plainte ne s'était élevée contre la population juive, et celui-là , ne faisait plus de distinction , étendait à ces départements déjà absous les mêmes châtiments et la même oppression. Paris même était frappé.
    De toutes parts de vives réclamations s'élevèrent
    Sous un Gouvernement véritablement constitutionnel elles eussent été portées aux deux Chambres. Une foule de citoyens dépouillés, sans forme de procès et par un simple acte du pouvoir exécutif, de leur fortune, de leur honneur et de leur liberté, n'eussent pas vainement dénoncé un aussi grave attentat. Mais sous le despotisme du précédent gouvernement, il n'y avait de justice à attendre que de celui-là même contre lequel on était réduit à demander justice.
    Les réclamations néanmoins ne furent pas toutes infructueuses. Uni mois était à peine écoulé , lorsque, le 26 avril, un nouveau décret vint attester la précipitation avec laquelle on avait rédigé celui du 17 mars. Il déclarait que les juifs de Paris devaient être censés compris dans l'exception prononcée au profit de ceux de Bordeaux.
    Le 22 juillet suivant, l'exception fut étendue au département des Basses-Pyrénées.
    Quinze départements furent encore exceptés le 11 avril 1810 ; et les archives du Ministère pourraient attester , au besoin , que beaucoup d'autres auraient obtenu la même justice , si le vœu des autorités locales axait pu être écouté, si de funestes entreprises ne fussent pas venues faire perdre de vue au gouvernement les mesures si précieuses aux sages monarques, mais que les conquérants dédaignent toujours, celles qui n'avaient trait qu'à des améliorations intérieures.
    C'est dans cet état de choses que les dix années de proscription se sont écoulées.

    Le dommage qui en est résulté pour les Juifs a été grave sans doute ; et malheureusement ce n'est pas seulement leur fortune qui a souffert de cet état d'oppression. L'amélioration morale, les progrès de la civilisation qui sont d'un intérêt bien plus général, s'en sont encore ressentis : aussi tous les hommes et sages se félicitaient-ils d'en voir arriver le terme.
    M. le marquis de Lastier , du département de la Drôme, et le conseil général du département du Haut-Rhin, ont pensé autrement : eux seuls sont venus troubler ce concert de vœux unanimes, ils prétendent que les dispositions du décret du 17 mars 1808 ne peuvent être trop long-temps maintenues. Le conseil général va jusqu'à proposer de prendre contre les Juifs des mesures beaucoup plus sévères , et notamment pour empêcher leur multiplication.
    Mais que peuvent ces demandes irréfléchies , ces vœux isolés , que rejette par son silence la France entière , pour faire maintenir une proscription que la charte condamne , que la justice et la raison réprouvent ? Comment pourraient-ils troubler la juste sécurité des Juifs, depuis que Votre Majesté est remontée sur son trône, et que , sous l'abri des lois , ils n'ont plus à craindre ni les caprices de la puissance, ni les effets non moins déplorables d'une injuste prévention ?
    Qu'importe que M. de Lastier veuille se rendre encore l'écho de ces bruits mensongers, autrefois semés par la haine et long-temps accueillis par l'ignorance; qu'au mépris de la déclaration dogmatique du grand Sanhédrin , il vienne répéter que le penchant des Juifs pour l'usure est incorrigible parce qu'ils se croient autorisés par les lois de Moise à usurer les personnes d'une autre religion. En le voyant fonder une demande aussi grave sur une supposition aussi fausse, on s'assure d'avance qu'il n'a cédé qu'à une aveugle prévention, si ce n'est à quelques sollicitations particulières , et c'en est assez pour fixer le degré de confiance que ses assertions méritent . pour se convaincre qu'elles ne peuvent rien changer à l'état de la question.
    Des Juifs se livrent encore à l'usure : c'est ce qu'allèguent leurs ennemis.
    Mais ce fait admis comme vrai , est-il juste , est-il raisonnable d'en conclure que toute la population juive doive être placée hors du droit commun : qu'il faille leur refuser la protection et la liberté que la loi accorde à tous les citoyens ; imprimer sur leur front un cachet d'opprobre, et les traiter de nouveau en esclaves en proscrits, après les avoir fait entrer comme des égaux et des frères dans la grand famille ? Telle est , Sire, la question grave que nous venons examiner devant Votre Majesté : certains d'avance qu'elle lui paraîtra digne de sa haute sollicitude, du même qu'elle excitera l'intérêt de tous les amis de la patrie, de la justice et de l'humanité.
    Il existe contre l'usure des dispositions générales ; elles se trouvent dans le décret du 3 septembre 1807. Ce décret établit que l'intérêt conventionnel ne peut excéder 5 pour cent en matière civile, et 6 pour cent en matière de commerce.
    Il porte que, lorsqu'il sera prouvé qu'un prêt a été fait à un taux élevé , le prêteur doit être condamné a la restitution ; et enfin, que tout individu qui sera prévenu de se livrer habituellement à l'usure , sera traduit devant le tribunal correctionnel ; et en cas de conviction , condamné à une amende qui ne pourra excéder la moitié des capitaux qu'il a prêtes à usure.
    Ces dispositions générales ne sont-elles pas assez sévères pour remplir leur objet? Qu'une législation plus sévère encore les remplace ; que de nouvelles précautions soient prises contre les usuriers, des peines plus rigoureuses prononcées, si on le croit utile; les Juifs seront loin de s'en plaindre. Ils béniront au contraire le législateur , s'il parvient à prendre des mesures efficaces pour extirper un trafic infâme que les lois de Moïse réprouvent aussi bien que celles de l'État. Ils ne demandent que cette égalité de protection que la charte leur a promise, soit comme Juifs, soit comme citoyens. Ils ne se révoltent que contre l'idée de se voir soumis à une législation spéciale, qui les marquant du sceau de la réprobation , les isolerait encore une fois au milieu de la nation qui les a adoptés.
    Certes , il leur sera facile de montrer que les dispositions extraordinaires qu'on provoque contre eux , loin d'être appelé par l'intérêt public, loin de tendre à l'amélioration proposée, seraient à la foi injustes, inefficaces et funestes. Qu'il leur soit permis auparavant de faire remarquer que, dans aucun cas, ces dispositions ne pourraient être désormais consacrées par une loi sans renverser l'un des principes sur lesquels reposent, en France, l'ordre constitutionnel et la liberté publique.
    Il ne s'agit point ici de reproduire les arguments si souvent proposés à la tribune nationale contre le système des lois d'exception. Que le corps législatif suspende les droits consacrés par la charte; qu'il livre pendant un temps déterminé la liberté individuelle et la liberté de la presse à la prudence des règlements de l'autorité ; qui pourrait lui en contester le pouvoir, si l'intérêt de l'État commande ce sacrifice?
    Mais remarquons qu'en l'imposant , ce sacrifice, la loi s'adresse à tous; elle fait exception à la charte; mais elle ne fait pas acception de personnes. Elle soumet à ses dispositions, non les individus de telle classe ou de telle religion, mais la France toute entière.
    Ainsi se trouve respecté, au milieu même de la violation momentanée des principes constitutionnels, cet autre principe, base fondamentale de notre droit public : Tous les citoyens sont égaux devant la loi.
    C'est cette base au contraire qui serait ébranlée par les mesures que nous repoussons. Si elles étaient adoptées, la loi exigerait donc de tel citoyen plus que de tel autre; elle permettrait à celui-ci ce qu'elle défendrait à celui là; le même délit, commis dans les mêmes circonstances, serait puni d'une peine différente; et, pour comble de malheur, ce serait la différence de religion qui amènerait la différence des châtiments! La charte garantit à tous les cultes, comme à tous les citoyens, une égale protection ; et c'est précisément parce qu'ils suivent les lois de Moïse qu'un nombre considérable de Français seraient ruinés et flétris!
    Lorsqu'en 1791 la loi admit les Juifs alors établis en France a l'honneur d'être citoyens français, elle ne leur imposa d'autre condition, pour jouir de tous les droits attachés à cette qualité, que de prêter le serment civique. Serait-ce depuis que la charte est venue ajouter à ce pacte solennel de nouvelles garanties qu'il faudrait s'attendre à le voir violer ? et si l'exemple du précédent gouvernement peut être quelquefois invoqué, est-ce donc lorsqu'il s'agirait de maintenir un monument monstrueux d'arbitraire et de tyrannie?
    Mais, nous l'avons dit, il est d'autres motifs non moins graves pour rassurer les Juifs contre toute crainte de voir proroger les dispositions du décret du 17 mars 1808. Comment leur sécurité serait-elle troublée lorsqu'un simple coup-d'oeil jeté sur ces dispositions montre si bien que la raison d'État, qui seule pourrait offrir un prétexte pour les défendre, les repousse au contraire elle-même comme un abus de la force, comme des moyens pernicieux et établissant une oppression inutile et sans excuse.
    Il faut ici se rappeler que ce décret qui , au milieu de tant de vices, offrait encore le plus funeste de tous, celui de la rétroactivité, embrassait à la fois le passé et l'avenir.
    Pour tout ce qui concerne les obligations existantes alors, toute prorogation serait certainement superflue, puisque leur sort a été nécessairement réglé dans l'intervalle de dix ans, qui s'est écoulé depuis le 17 mars 1808. Dans ce long espace de temps les débiteurs victimes de l'usure, et ceux même qui ont eu assez, peu de bonne foi pour abuser de l'avantage que le décret leur donnait sur leurs créanciers , n'ont pas manqué de faire annuler ou de faire réduire leurs dettes. S'il y a eu des titres non attaqués, c'est sans doute parce qu'ils étaient inattaquables. Quel débiteur, instruit du délai que la loi lui accordait pour exercer cet étrange privilège, l'eut laissé expirer sans intenter son action, si elle lui eût paru fondée? En cas de silence de !a part de son créancier, eut-il manqué d'aller au devant de lui, en usant du bénéfice de la loi diffamari? Ceux-là doivent donc avoir été acquittés. S'il en restait encore de non payés, le montant devrait en être fort peu considérable. Et d'ailleurs, peu importerait, puisqu'il les faudrait présumer à l'abri des reproches (5).
    La prorogation ne serait pas moins inutile pour ce qui concerne les prêts faits depuis la promulgation du décret.
    A l'égard de ceux-ci , de deux choses l'une : ou ils ont été réalises conformément aux dispositions prescrites; et alors, ils se trouvent à l'abri de la critique;
    Ou bien ils ont été souscrits au mépris de ces mêmes dispositions; et, dans ce cas , ils seront annulés par les tribunaux, aux termes du décret existant au moment de leur création , sans qu'il soit le moins du monde nécessaire pour en faire justice que les mêmes dispositions soient maintenues pour l'avenir.
    Pour qu'il en fût autrement, pour que ces titres pussent échapper à l'empire des règles qui nous régissaient quand ils ont été consentis, il faudrait le faire décider par une loi expresse; et. bien qu'ils dussent s'attendre à être écouté avec plus de faveur, en réclamant à leur tour des dispositions rétroactives, lorsqu'il ne s'agit plus de sortir du droit commun, mais d'y rentrer, les Israélites out renoncé à solliciter cet acte de justice. Heureux de pouvoir donner cette nouvelle preuve de leur résignation, et de faire encore ce sacrifice à la paix publique, ce n'est pas une réparation des maux injustement soufferts par suite d'une scandaleuse exception, qu'ils poursuivent; ils ne demandent que de voir cesser ce scandale et cette injustice.

    Il ne reste donc qu'à examiner sil y a lieu de proroger les dispositions du décret, pour qu'elles servent à régler les transactions a venir.
    Pour fixer son opinion sur ce point, et avant d'adopter des moyens aussi extraordinaires, Votre Majesté voudra d'abord se faire instruire de toute l'étendue du mal qu'il s'agit de réprimer. Elle apprendra que, ainsi que nous l'avons exposé, ce n'est que sur un seul point du royaume que quelques hommes portent contre les Juifs d'aussi violentes accusations. Partout ailleurs que dans le département du Haut-Rhin, non seulement les autorités locales n'élèvent aucune plainte contre eux, mais ou les voit s'empresser d'attester "qu'il ne leur en est jamais parvenu aucune sur la conduite que tiennent les Israélites, et même, qu'elles n'ont qu'à se louer de leur moralité et de leur sagesse dans une année si difficile (6);
    Qu'elles ne peuvent rendre qu'un témoignage extrêmement favorable de la conduite et des principes moraux des Israélites domiciliés dans leur département; que chaque jour augmente le nombre de ceux qui embrassent des professions mécaniques ou se livrent à des arts estimés, et deviennent propriétaires; qui l'ancien reproche de se livrer à des spéculations d'argent à un taux non légal ne saurait être plus applicable aux Israélites qu'aux individus n qui professent la religion chrétienne (7)
    Déjà Votre Majesté sait que ces témoignages si honorables et si rassurants pour les Israélites ne datent pas seulement d'aujourd'hui. Dès 1808 ils avaient éclaté dans une foule de départements dont les Juifs n'en sont pas moins restés sous l'empire du décret (8). Vainement les autorités locales elles-mêmes ont-elles réclamé pour eux. Accueillir toutes les exceptions demandées aurait été faire l'aveu de tout ce que la mesure générale avait eu d'arbitraire et d'inconsidéré; et les juifs se virent encore immolés à l'amour-propre et à l'orgueil de l'ancien gouvernement, après l'avoir été à ses préventions et à sa colère.
    Quoi qu'il s'ensuit, il est bien certain aujourd'hui que ce n'est plus que contre les Juifs du Haut-Rhin que des voix accusatrices s'élèvent.
    Or , cette circonstance remarquable ne fait-elle pas nécessairement présumer que ces voix n'ont exprimé elles-mêmes que d'anciens préjugés, de vieilles préventions? Et, dans tous les cas, ne faut-il pas en conclure que, d'après l'esprit même qui a dicté le décret, il n'y a déjà plus de motif pour en proroger l'effet ?
    Ce n'est pas effectivement pour punir quelques individus, quelques actions coupables, que le décret a été lancé : c'est pour frapper toute une classe de citoyens, pour déraciner, disait-on, des habitudes générales, pour corriger des mœurs corrompues, et anéantir les obstacles qui naissaient à la fois, et des préceptes de la religion des Juifs, bien ou mal entendue, et de leur long abaissement.
    Or, d'après leur nature même, il est évident que de telles difficultés ne peuvent pas exister sur un seul point lorsqu'il est avéré qu'elles n'existent nulle part ailleurs. On ne saurait concevoir que d'anciens préjugés religionnaires et d'anciennes habitudes nationales se soient effacées dans la population juive de toute la France, excepté dans un seul département.
    Et qu'on ne dise pas que le nombre considérable des Israélites domiciliés dans le département du Haut-Rhin peut servir à expliquer comment ils auraient conservé leurs mœurs plus long-temps que dans d'autres contrées. Nous n'aurions qu'un mot à répondre : le Bas-Rhin, la Meurthe, la Moselle, trois départements voisins dans lesquels aucune plainte ne s'élève, renferment une population juive plus que double de celle du Haut-Rhin.
    Plus on réfléchit sur ce rapprochement, plut on doit rester vaincu, d'une part, que les membres du conseil général du Haut-Rhin ont pris les torts de quelques individus parmi les Israélites de ce département pour ceux de la masse de leurs religionnaires, et de l'autre, qu'il n'y a désormais ni motifs ni prétextes pour prendre contre les Juifs des mesures spéciales.
    Supposons pourtant que le nombre des Hébreux , qui méritent les reproches exagérés qu'on leur adresse , soit plus considérable en France que les faits ne le démontrent, serait-ce alors même un motif suffisant de proroger le décret ?
    Mais d'abord, quelle injustice n'y aura-t-il pas à frapper en masse tous les individus qui professent la même religion, à confondre ainsi l'innocent avec le coupable, à déshonorer et à compromettre une population toute entière, afin d'atteindre un certain nombre de ses membres, qu'elle-même flétrit et désavoue? Admettons que les tribunaux ne prononceront les peines dont l'application leur est confiée que contre les vrais coupables, et que les plus probes eux-mêmes parmi les Israélites ne seront pas quelquefois victimes des précautions prises et des préventions semées contre tous. Mais en attendant, la loi aura pris soin de flétrir les uns et les autres : tout ce qui porte le nom juif aura reçu d'elle un cachet d'opprobre, et, par un renversement de toutes les idées, le châtiment qui doit suivre le délit l'aura précédé.
    En second lieu , quel que puisse être le nombre de ceux parmi les hébreux dont il s'agirait de corriger des habitudes vicieuses, comment pourrait-on imaginer d'y parvenir par les moyens que le décret consacre? Et quoi ! serait-il encore douteux que c'est à l'état d'oppression dans lequel les Juifs avaient vécu presque partout et pendant aussi long-temps, qu'il faut attribuer la corruption qu'on leur a reprochée?

    Est-ce de nos jours qu'il faudrait encore répéter que ce appelle le caractère des individus d'une nation se compose, non de propriétés distinctives et invariables d'une modification particulière de la nature de l'homme, mais bien de propriétés qui dérivent du climat, de la nourriture etc. , et surtout de la constitution politique de l'État dans lequel ils vivent ? Tant qu'ils ont été repoussés de toutes les professions libérales, voués au mépris et aux insultes des peuples, couverts d'opprobre et d'infamie par des lois barbares, réduits à la condition des esclaves, comment les Juifs n'en auraient-ils pas eu les mœurs et les vices ?
    Et s'il en est ainsi, ne paraîtra-t-il pas bizarre que ce soit en renouvelant ces lois, en traitant les juifs avec mépris et dureté qu'on se flatte d'effacer ce que quelques-uns d'entre eux pourraient avoir conservé de ces vices de ces mœurs ? Ainsi c'est la cause même du mal qui serait employée comme remède !
    Ne dirait-on pas que l'affranchissement des juif, en France, de 1791 , n'a servi qu'à les dégrader; qu'ils ont abusé de la liberté reconquise pour mériter de plus graves reproches ? Mais, s'il est constant au contraire que depuis qu'ils ont été rappelés à la dignité de l'homme , élevé au rang des autres citoyens, investis des mêmes droits, on les a vu s'empresser d'en pratiquer les devoirs, d'en suivre les usages, d'en imiter les exemples; si l'on considère que, suivant le témoignage de toutes les autorités, les progrès de leur amélioration ont été immense, que les tristes effets d'une si longue servitude ont déjà presque entièrement disparu, grâce à vingt-cinq ans de liberté, concevra-t-on qu'on puisse proposer au gouvernement de bouleverser tout-à-coup l'ordre de chose auquel sont dus de si précieux avantages ? devra-t-il, voyageur inconsidéré, prêt à atteindre le but auquel il aspire, changer au moment même la direction qui l'y conduisait d'une manière si sûre ? ah! qu'on laisse à la liberté le soin d'achever son ouvrage: elle a assez prouvé qu'elle est plus féconde que la tyrannie en résultats utiles; et le bien qu'elle a fait en peu d'années, au milieu du désordre, de l'arbitraire et des révolutions, montre assez ce qu'on doit attendre d'elle lorsqu'elle pourra exercer sa bienveillante influence sous l'empire des lois, à l'ombre d'un véritable gouvernement représentatif et au milieu des douceurs de la paix.
    Daignez encore remarquer, Sire, qu'à ce reproche d'inconséquence contre le décret du 17 mars, vient se joindre la contradiction la plus bizarre dans les moyens d'exécution.
    Ainsi le décret défend à tout Israélite de faire aucun acte de commerce, s'il ne se fait négociant ; et d'un autre côté , il ne le laisse pas libre de suivre cette carrière.
    Il veut que les usuriers abandonnent leur trafic infâme, pour se livrer à un commerce honnête, et en même temps il défendit l'autorité de délivrer une patente au juif qui s'est livré à l'usure (art. 7).
    Il veut que le créancier n'exige que le 5 p. % d'intérêt : et il ne lui permet pas, s'il n'est patenté, de prendre les mesures conservatoires dont l'effet certain est de diminuer le prix de l'argent, en augmentant la sécurité du prêteur ( art. 11).
    Est-ce d'ailleurs bien sérieusement qu'on a imaginé de porter remède aux maux de l'usure, en gênant le prêteur juif par toute sorte d'entraves, en aggravant sans mesure contre lui seul les peines que la loi prononce contre les usuriers?
    Si l'on supposait que les Israélites, effrayés de tant de précautions et de menaces, et n'osant prêter leurs fonds, les placeraient en biens territoriaux , aurait-on par-là fait cesser l'usure? Il en résulterait seulement que les personnes qui, dans d'autres cilles, se livrent aussi à des gains usuraires, se trouveraient désormais sans concurrents dans ce vil métier; et que les malheureux pressés par le besoin, et livrés à ces prêteurs privilégiés, auraient bien moins de moyens d'échapper à des conditions onéreuses.
    Mais est-il probable que le vice de l'usure soit découragé par des formalités et par des menaces? L'expérience nous apprend que les lois dont la rigueur est excessive, sont celles dont le vœu est le plus souvent trahi. Il est dans la nature des ch oses que, tant que le besoin est aux prises avec l'avarice, il soit obligé de se soumettre aux lois qu'elle voudra lui imposer. Ainsi l'usurier aura d'autant plus de facilité à éluder la loi que l'usuré sera son complice. D'un autre côté, il y réussira d'autant mieux que la loi elle-même lui aura indiqué les précautions à prendre pour échapper à sa rigueur; eu en résultat, il n'est que trop vraisemblable qu'il fera payer à son débiteur et les précautions qu'il est forcé de prendre, et les dangers qu'il est obligé de braver , et mène la flétrissure dont la loi l'accable.
    Telles sont pourtant les dispositions qu'on propose aujourd'hui de faire consacrer par une loi.
    Quand on considère combien de graves motif, les repoussent comme inutiles et dangereuses, quand on pense qu'elles ne pourraient être renouvelées que par un scandale public, par la violation d'une des bases les plus importantes de notre constitution , et au mépris des plus précieuses garanties, on ne saurait trop s'étonner que des hommes, dont nous ne pouvons soupçonner ni le zèle ni les intentions, aient pu se résoudre à en demander le maintien; et l'on demeure toujours plus convaincu qu'ils n'eussent pas sollicité contre les Israélites des mesures aussi contraires à la raison, à la justice et à l'intérêt de l'État, si, écoutant moins d'anciens préjugés, et s'élevant à de plus hautes considérations, ils eussent réfléchi sur les circonstances au milieu desquelles leur proposition a vu le jour, et sur les effet qui en seraient la suite.
    Mais le Gouvernement, placé à la hauteur convenable, saura voir ce qui a échappé aux regards de simples individus , et il n'est pas à craindre qu'instruit de la vérité des faits et juste appréciateur de la conséquence des choses , il se détermine à provoquer , de la part du corps législatif, des dispositions dont il ne pourrait attendre aucun bien et qui causeraient certainement un mal considérable.
    Il jugera que la question de la répression de l'usure doit être envisagée d'une manière plus simple et plus juste; qu'il ne peut et qu'il ne doit en faire qu'une question générale.
    II sentira que les mesures à prendre pour faire cesser un trafic illicite doivent être dirigées, non contre les individus de telle religion, mais contre tons ceux qui se livrent à ce trafic; car le crime n'est pas moins hideux, sons quelque bannière que soit rangé celui qui le commet. Il le faudrait ainsi lors même qu'il serait possible de dire que les coupables ne sont que parmi les Juifs , car ce m'est pas comme juif, mais comme citoyens, mais comme usuriers qu'ils seraient frappés par les tribunaux. A combien plus forte raison cela est-il indispensable lorsqu'il n'est malheureusement que trop avéré que les coupables sont partout, et que la cupidité a obtenu un culte aux dépens de toutes les religions.
    Le gouvernement se de mandera donc si la législation générale contre l'usure est suffisante.
    Si elle lui parait telle, il jugera tonte disposition nouvelle inutile.
    Si an contraire il la croit imparfaite pour atteindre tous les coupable, il proposera les améliorations dont elle lui paraîtra susceptible, et ces corrections rendront encore inutile toute disposition spéciale.
    Enfin , s'il arrivait qu'en réfléchissant sur ce sujet, les difficultés d'atteindre au but proposé, par des lois pénales, lui parussent insolubles : s'il venait à se dire que ces lois ne rendront pas le besoin d'argent moins réel, et que, s'il reste le même, toutes les mesures préventives levés ou répressives seront également insuffisantes : alors, sans doute, le gouvernement sentirait encore mieux combien il serait inhumain et impolitique d'accumuler contre une classe particulière de citoyens des dispositions atroces, qui offriraient le spectacle d'une grande injustice, sans l'espérance d'aucun heureux résultat.
    Alors sa sagesse le conduirait à rechercher des moyens plus propres à vaincre la difficulté; et, en attendant que le temps ,la paix et des saisons plus prospères vinssent l'aider à rétablir l'équilibre entre les besoins et les ressources, il saurait préparer les institutions et faciliter les entreprises qui peuvent tendre à augmenter la masse des capitaux disponibles , et à les placer à portée des besoins.
    Mais, quel que soit le parti que sa prudence et ses lumières lui fassent adopter à cet égard, les Israélites demandent une chose trop éminemment juste pour qu'ils ne doivent pas se croire assurés de l'obtenir. Ils ne réclament que le droit d'être traités comme les autres citoyens de l'État. Ils supportent les mêmes charges , ils demandent la même protection. Elle leur fut accordée sous le règne de votre auguste Frère: elle leur a été de nouveau garantie par la charte que la France a reçue de vous avec reconnaissance. Le despotisme a pu les en dépouiller momentanément; mais ce n'est pas sous le règne des Bourbons et des lois qu'ils peuvent avoir à craindre encore les attentats du despotisme.
    C'est à cette égalité de droits et de protection; c'est à l'influence d'une éducation nouvelle, à la puissance des sages doctrines et des bons exemples, qu'est due l'amélioration immense déjà obtenue dans l'existence sociale des Israélites. C'est des mêmes moyens qu'il faut attendre le bien qui reste à faire , et qu'une nouvelle oppression ne manquerait pas de compromettre. Ce bien, les Consistoires continueront à le hâter, non-seulement de tous leurs vœux , mais par leur zèle et leur constante sollicitude (9) ; et le succès ne leur paraîtrait douteux qu'autant que le Gouvernement se refuserait à seconder leurs efforts.
    Les soussignés supplient Votre Majesté de leur permettre de déposer à vos pieds l'hommage de la confiance , de l'amour et du respect de tous les Israélites de France , et de se dire ,


    (1) M. le marquis de Lastier, du département de la Drôme

    (2) séance du .... . Moniteur, du ...

    (3) séance du .... . Moniteur, du ...


    (4) Plusieurs militaires israélites ont obtenu des grades supérieurs et des décorations.


    (5) Les personnes que te. Juifs du Haut-Rhin ont députées à Pars pour donner des renseignements sur leur situation et sur leur conduite affirment que le montant de ces anciennes créances, dans toute l'étendue du département , est au dessous de 350 mille francs. 

    (6) Attestation de M. le préfet de la Meurthe, du 2 mars 1818.

    (7) Attestation de M. le préfet de la Moselle , du .4 mars 1818.

    (8) Rhône, Vaucluse, Côte-d'Or, Nord, Seine-et-Marne, Pas-de-Calais, Moselle, etc.

    (9) L'un des moyens qui leur a paru le plus efficace a été l'établissement des écoles primaires et des écoles de théologie. Le Consistoire central a demandé , depuis deux ans, l'autorisation d'en établir à ses propres frais. Il a peine à concevoir par quelle fatalité cette autorisation n'a point encore été accorde,