M. BROGLIE : Il est nécessaire que l'Assemblée prenne des précautions pour que ce décret n'ait pas de mauvais effets en Alsace; car, d'après les intrigues (dont l'influence se fait déjà sentir, il pourrait en avoir de très-mauvais. Il faut donc qu'il ne puisse être mal interprété, et qu'il soit dit que la prestation du serment la la part des juifs, sera regardé comme une renonciation formelle aux lois civiles et politiques auxquelles les individus juifs se croient particulièrement soumis.
     L'amendement de M. Broglie est adopté.
    M. REWBELL : La manière dont le décret a été rendu hier, sans discussion, sans rédaction préalable, sans examen, les inconvénients qui pourraient en être la suite, détermineront, j'espère, l'Assemblée à me permettre aujourd'hui quelques réflexions sur cette rédaction. (on murmure.)
    M. CHABROUD : Je demande qu'il n'y ait plus de discussion, puisque le décret est rendu.
    M. REWBELL : On vous propose aujourd'hui une nouvelle rédaction. Vous ne voudrez pas saris doute écarter des réflexions qui tiennent à l'exécution même de votre décret ; car si l'on ne vous instruit pas des localités, vous ne ferez rien de raisonnable. Si vous refusez d'entendre toute discussion, soyez persuadés que, dans mon pays, les ennemis du bien public feront croire aux habitants que les usuriers ont trouvé à Paris de puissantes protections. Vous avez révoqué
le décret rendu en faveur des gens de couleur libres, nés de sang français. (On murmure.) Eh bien, si l'Assemblée ne veut pas être instruite, je la rends responsable de tous les troubles que peut susciter en Alsace le décret d'hier, dans un moment où les prêtres réfractaires redoublent les intrigues du fanatisme, et où le royaume se trouvera momentanément saris autorité ...
    M. LE PRESIDENT : Sur quoi voulez-vous parler?
    M. REWBELL : Je demande à faire connaître le véritable état de la question.
    M. PRUGNON : Je demande qu'au lieu de mettre; « Sera regardé comme une renonciation à leurs lois civiles, etc. . » on mette : " Sera regardé comme une renonciation à leurs privilèges;" car les lois civiles des Juifs sont identifiées à leurs lois religieuses ; et il n'est pas dans notre intention d'exiger qu'ils abjurent leur religion.
    M. REWBELL : Vous voulez que votre décret soit exécuté ; or, le vrai moyen de le faire exécuter sans secousses ni troubles m'a été suggéré par les juifs eux-mêmes, et par ceux qui s'intéressent a leur sort. Depuis quarante ans des convulsions continuelles résultent de l'oppression usurière dans laquelle gémit la classe pauvre du peuple. Les juifs eux-mêmes sentent qu'ils ne peuvent vivre à côté de ces malheureux avant que tout ces procès soient terminés. Les cahiers des trois ordres ont chargés les députés de l'Alsace de demander que les états généraux prissent des précautions pour liquider ces créances; faites donc que nous puissions enfin dire à nos concitoyens que vous avez voulu venir à leur secours, et que l'Assemblée nationale n'est pas moins bien intentionnée pour eux que pour les juifs.
    Je vous propose donc décréter que, dans le délai d'un mois, les juifs d' Alsace donneront aux directoires de district du domicile de leurs débiteurs des états détaillés de leurs créances, tant au principal qu'en intérêts, et que les directoires de district prendront tous les renseignements nécessaires sur les moyens de libération des débiteurs, afin que, sur l'avis motivé des directoires de département, le corps législatif puisse statuer sur les moyens de liquider ces créances.
    Ce sera le seul moyen de calmer cette classe nombreuse et malheureuse qui vit sous l'oppression usuraire des juifs. Elle verra qu'on s'est occupé de son sort. Lés juifs sont dans ce moment en Alsace créanciers d'environ 12 à 15 millions, tant en capital qu'en intérêts, de cette classe du peuple. Si l'on considère que la réunion des débiteurs ne possède pas 3 millions, et que les juifs ne sont pas gens à prêter 15 millions sur 3 millions de vaillant, on sera convaincu qu'il y a au moins sur ces créances12 millions d'usure. Les juifs disent eux-même que, si on leur donnait 4 millions pour la totalité dé ces créances, ils seraient fort contents. Par le moyen que je vous propose, on connaîtra la véritable valeur la créances, et on donnera ce qu'il sera possible de donner ; sans cela vous aliénez les esprits contre votre constitution. " Voyez cette Assemblée nationale, dira-t-on ; elle a tout lait pour les usuriers, et elle n'a pas pensé à nous tirer de nos malheurs."
    Les états dont il est ici question seront très-faciles à faire; car les juifs avaient déjà été obligés de les fournir à la ci-devant cour souveraine de Colmar, et les deux tiers de ce travail sont faits.
    Je suis obligé d'employer dans ma rédaction l'expression de classe du peuple, qui est actuellement très peu sonore. mais qui se trouve dans les anciens règlements relatifs à cette espèce de créance.
    Voici le projet de décret que je propose
    " L'Assemblée nationale décrète : 1° que, dans le mois, les juif, de fa ci-devant province d'Alsace donneront aux directoires des districts du domicile des débiteurs l'état détaillé de leurs créances tant en principal qu'en intérêts, sur les particuliers non juifs dénoncés dans les anciens règlements de la ci-devant classe du peuple de la même province;
     2° Que les directoires de district prendront aussitôt tous les renseignements nécessaires pour constater les moyens connus des débiteurs pour acquitter ces créances ; qu'ils feront passer ces renseignements avec leur avis sur le mode de liquider, aux directoires des départements des Haut et Bas-Rhin ;
    3° Que les directoires des départements du Haut et Bas-Rhin donneront sans délai leur avis sur le mode de liquidation, communiqueront cet avis aux juifs, et l'enverront, avec les observations de ces derniers, au corps législatif, pour être statué ce qu'il appartiendra."

source : bulletin des lois